Une spécificité canadienne

Si vous n’êtes pas canadien mais bricoleur, les embouts de tournevis carrés dont vous ne vous servez presque jamais demeurent probablement une énigme. Considérées révolutionnaires à leur création, ces vis ont failli devenir un incontournable de l’industrie mondiale. Histoire d’un rendez-vous manqué.

Au premier plan des embouts de tournevis cruciformes Phillips et carrés Robertson. Photo G. Brunet

Suite à une blessure à la main survenue lors de la démonstration d’un tournevis plat à ressort, Peter Lymburner Robertson invente en 1906 une vis à tête carrée. En 1907, il fonde avec l’aide d’investisseurs la Robertson Manufacturing Company Ltd. Le choix du carré n’était pas une première dans la visserie. Mais en 1908, Robertson met au point un procédé de formage à froid permettant de produire ses vis rapidement et à moindre coût. La même année, la première usine est construite à Milton dans l’Ontario grâce à un prêt municipal de 10 000 $ et une exemption de taxes locales.

L’entreprise se lance sur le marché. Ses produits séduisent les fabricants locaux de meubles et de bateaux. Détentrice d’un brevet international, la société cherche alors à sortir de ses frontières. Tout d’abord au Royaume Uni, où est fondée en 1913 la Recess Screws Ltd. L’objectif est de produire en Angleterre pour approvisionner le marché local ainsi que l’Europe continentale. La première guerre mondiale va malheureusement mettre un terme abrupt à ce projet. L’usine est réquisitionnée au profit de l’industrie d’armement. La filiale ne se relèvera jamais complètement du conflit, jusqu’à sa vente en 1926.

Publicité de 1909 pour la vis Robertson. Source : Bibliothèque et Archives Canada.

Sur son marché local, l’entreprise connaît plus de succès.

Depuis 1913, la compagnie américaine Fisher Body Company possède une usine à Walkerville dans l’Ontario. En 1920, elle y assemble pour le compte de Ford les armatures en bois des carrosseries de « Model T ». Dans cette tâche, elle fait un large usage des vis carrées, jusqu’à plus de 700 par voiture. La compagnie Fisher Body est un client important pour Robertson. Aussi, lorsque Ford lance sa nouvelle « Model A » à partir de 1928, l’entreprise propose-t-elle de nouvelles vis adaptées aux carrosseries métalliques.

Plus facile à mettre en œuvre d’une seule main, limitant les risques de ripage et adaptées aux visseuses mécaniques, les vis Robertson semblent destinées à accompagner l’industrialisation croissante du XXe siècle. La rencontre entre Henry Ford et Peter Robertson va en décider autrement.

Informé que l’utilisation de ces vis carrées sur les lignes d’assemblage canadiennes de Windsor (Ontario) permettait de réaliser des économies, Henry Ford décide d’en généraliser l’emploi. Il propose alors à Robertson un accord de licence exclusif pour produire lesdites vis. Ce dernier lui oppose alors un ferme refus perdant ainsi l’opportunité de s’imposer sur le plus grand marché de l’époque.

Avec une approche diamétralement opposée -il accorde dès 1936 une licence à General Motors-, Henry F. Phillips va réussir à imposer au monde la vis cruciforme qui porte son nom.

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