L’Anglais qui voyait les choses en grand

Acteur majeur et compétent du développement ferroviaire britannique à son époque, Edward Watkin voit aujourd’hui son nom associé à deux spectaculaires échecs.

Edward William Watkin naît le 26 septembre 1819 à Salford, près de Manchester. Fils d’un marchand de coton aisé, il rejoint l’affaire familiale.

Impliqué dans la vie de la cité, il défend la création de trois parcs autour de Manchester et Salford, alors en pleine essor.

En 1845 il intègre une société ferroviaire locale. Remarqué pour ses talents d’organisateur, il est recruté en 1854 pour prendre la direction de la Manchester, Sheffield and Lincolnshire Railway dont il étend considérablement le réseau.

Surnommé «The Railway Doctor» on fait appel à ses services bien au-delà des seules îles britanniques. Il sauve la Grand Tunk Railway of Canada de la faillite et la dote du plus long réseau de chemin de fer de son époque. Il intervient également à New-York, Athènes, en Inde et même au Congo Belge.

Edward W. Watkin en 1891 par Augustus Henry Fox

Entrepreneur dynamique, Watkin, est également un homme politique. Il est membre du parlement de 1857 à 1895. Profitant de ses déplacements au Canada, il participe activement aux discussions qui conduisent à la création du Dominion en 1867. Fait chevalier la même année, il reçoit le titre de baronnet en 1880 pour son rôle dans le développement des chemins de fer britanniques.

Alors âgé de 61 ans, afin de connecter le réseau ferré du Royaume-Uni à celui du continent, il projette de creuser un tunnel sous la Manche. Malgré une habile campagne de communication et alors qu’il est aux commandes de 9 compagnies ferroviaires, il ne parvient pas à surmonter les oppositions politiques. De nombreux responsables craignent que le tunnel permettent aux troupes françaises d’envahir l’île à pied sec sans avoir à affronter la puissante Royal Navy. L’entreprise est donc finalement stoppée par le pouvoir en 1882 pour des raisons de sécurité nationale.

Moins de 10 ans plus tard, il se lance dans un projet démesuré qui occulte encore aujourd’hui ses indéniables qualités d’entrepreneur. Impressionné en 1889 par la Tour Eiffel, il imagine une tour plus grande encore. Pièce maîtresse d’un parc d’attraction, elle doit attirer les Londoniens qui emprunteront ses trains pour s’y rendre.

Les travaux commencent en 1892 sur un terrain acheté à Wembley. Mais aux problèmes de fondations s’ajoute ceux des fonds. Watkin peine à convaincre des investisseurs de le suivre. En 1894, les visiteurs découvrent un monument inachevé d’un seul étage qu’ils affublent du surnom de « Watkin’s Folly ». Touché par des problèmes cardiaques Edward Watkin abandonne l’aventure dès 1896. La tour sera détruite après sa mort.

Malade, il se retire des affaires et de la vie publique mais connaît un dernier succès en 1899 lorsque les lignes de sa compagnie atteignent enfin Londres. Il s’éteint en 1901 à l’âge de 81 ans.

Le Bureau du Patron réunit des articles brefs consacrés à l’histoire d’entrepreneurs atypiques aux fortunes diverses.

Un cycliste français dans l’automobile américaine

Français, Albert Champion est pourtant l’archétype du self-made man américain. Né pauvre, il s’illustre dans les courses cyclistes avant de fonder deux entreprises emblématiques de l’automobile d’outre-Atlantique.

Albert Champion naît le 5 avril 1878 à Paris dans une famille modeste. Orphelin de père, il travaille dès 12 ans pour un fabricant de cycles. À 13 ans, il dispute ses premières courses amateurs avant de se professionnaliser dans la course sur piste. En 1899, déjà célèbre, il acquiert la renommée en gagnant le Paris-Roubaix.

Auréolé de cette victoire et privilégiant sa carrière à un service militaire de 2 ans, il décroche opportunément un contrat aux États-Unis. Ce qui lui vaut un temps d’être qualifié de déserteur par la presse française. Après des débuts difficiles, Albert enchaîne les succès dans les courses de demi-fond sur piste, ce qui lui assure de confortables revenus.

Albert Champion durant sa carrière cycliste, sans doute avant 1903.

Sur le Nouveau Continent, il s’intéresse aux véhicules motorisés qui servent alors à l’entraînement des cyclistes. Au guidon de tricycles motorisés et de motos, il bat entre 1901 et 1903 de nombreux records de vitesse. En 1903, il annonce même mettre fin à sa carrière cycliste pour devenir pilote automobile. Second volant pour Packard, sa nouvelle vocation connaît un brutal coup d’arrêt. Un grave accident lui brise la jambe gauche, désormais plus courte de 2 cm.

Cela n’entame en rien son esprit de compétition. Décidé à réunir l’argent nécessaire à sa reconversion, Albert remonte en selle dès1904 et se rend en France où il multiplie les victoires., obtenant même le titre de champion de France de demi-fond. Mais tout cela au prix de terribles souffrances liées à ses blessures.

Revenu à Boston, Albert se lance dans l’importation de pièces détachées automobiles Nieuport-Duplex. En 1905, il fonde avec les frères Stranahan « The Albert Champion Company ». Dès 1906, la compagnie conçoit sa propre batterie puis une bobine d’allumage et en 1907, ses premières bougies. Albert se distingue alors par l’attention apportée à la qualité et à l’amélioration continue de ses produits.

En 1908, après une rencontre avec William Durant, il quitte ses associés et fonde « The Champion Ignition Company » afin de produire des bougies pour Buick. L’entreprise s’accroît et se diversifie à mesure que General Motors se développe.
Après la Première Guerre Mondiale, elle s’implante au Royaume-Uni, en France et équipe de nombreuses marques automobiles des deux côtés de l’Atlantique.

En 1922, désormais millionnaire, Albert fait face aux tribunaux. Son épouse lui réclame le divorce pour infidélité et les frères Stranahan lui contestent depuis 1916 l’utilisation du nom Champion. Il renomme alors son entreprise « AC Spark Plug Company ».

En France à l’occasion du salon automobile de Paris, Albert décède d’un arrêt cardiaque le 2 octobre 1927, à 49 ans.

Les deux entreprises qu’il a fondées existent encore aujourd’hui : Champion et ACDelco.

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Fille d’esclaves, millionnaire et philanthrope

Moins connue que Madam C.J. Walker, Annie Turnbo Malone est pourtant la véritable pionnière de la cosmétique afro-américaine. Une entrepreneuse volontaire aux méthodes novatrices et imitées.

Annie Minerva Turnbo naît un 9 août, probablement en 1877, à Metropolis dans l’Illinois. Fille d’anciens esclaves, elle est très tôt orpheline. Elle étudie jusqu’au Lycée mais sans obtenir son diplôme.

Au début du XXe siècle la mode afro-américaine est au lissage des cheveux. Annie met au point un produit moins agressif pour le cuir chevelu que celui de ses concurrents. Après avoir développé sa gamme de soins capillaires, elle s’installe en 1902 à Saint-Louis dans le Missouri, alors en plein essor.

Femme noire, Turnbo n’a pas accès aux réseaux de distribution traditionnels. Elle débute donc en proposant des démonstrations de ses produits en porte-à-porte. Elle recrute progressivement des conseillères pour vendre ses produits, dont la future « Madam C.J. Walker » qui créera son propre empire dans la cosmétique afro-américaine.

A l’occasion de l’Exposition universelle de 1904 à Saint-Louis, elle entrevoit la possibilité de se développer au niveau national grâce à son marketing innovant. En plus du porte-à-porte, elle et ses assistantes sillonnent les églises afro-américaines et les centres communautaires du pays. A l’issue des démonstrations, partout de nouvelles représentantes locales sont formées. Ainsi, dès 1910, Poro, son entreprise, dispose de son propre réseau de distribution national.

En 1918, elle est une des premières femmes noires millionnaires. Elle construit le Poro College, une école de formation cosmétologique et commerciale pour ses conseillères de vente. Le campus abrite également des équipements éducatifs, religieux ou récréatifs à destination de la population noire victime de la ségrégation. Philanthrope, Annie Turnbo fait de nombreux dons à diverses institutions de sa communauté : hôpital, orphelinat, université.

Annie Turnbo Malone en 1927, photo de W.C. Persons

Poro emploie en 1927, plus de 75 000 représentantes, possède des Colleges dans 32 villes des États-Unis et dispose de points de ventes franchisés dans les deux Amériques, en Afrique et aux Philippines.

Mais sa fortune, désormais estimée à plus de 14 millions de $, lui est disputée par son second mari, Aaron E. Malone, épousé en 1914. Impliqué dans la direction, il demande le divorce ainsi que la moitié de l’entreprise. Le différent, très médiatisé, se résout en faveur d’Annie qui consent à payer 200 000 $ à son ex-mari.

Après le Krach de 1929, Poro déplace son siège à Chicago en 1930. Mal gérée, l’entreprise périclite et doit faire face à des poursuites judiciaires. Dans la décennie suivante, c’est le fisc qui lui réclame des arriérés jusqu’à prendre le contrôle de la société en 1951.

Annie Turnbo Malone décède d’un AVC le 10 mai 1957 à Chicago à 87 ans sans enfants. Son patrimoine est alors évalué à 100 000 $.

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Hotchkiss, celui qui fonda la plus américaine des marques françaises

Nul n’est prophète en son pays, pas même un producteur d’armes aux États-Unis. Enrichi par la guerre de Sécession, c’est en France que Hotchkiss deviendra une marque internationale.

Benjamin Berkeley Hotchkiss naît en 1826 à Watertown dans le Connecticut. Il grandit à Sharon où son père Asahel dirige et possède un atelier produisant différents outils et objets de quincaillerie. Grâce à l’inventivité familiale et plus particulièrement celle de son frère aîné Andrew, handicapé de naissance, l’entreprise se développe en déposant de nombreux brevets. Elle s’investit également dans la production d’armes et de munitions.

Andrew décède en 1858. Dès 1863, Benjamin s’associe à un autre de ses frères, Charles Albert, pour fonder « Hotchkiss’ Sons » en rachetant les parts aux différents membres de la famille, dont leur père.

Benjamin Berkeley Hotchkiss

La Guerre de Sécession qui déchire alors les États-Unis de 1861 à 1865 va accélérer la croissance de la jeune entreprise. Ayant fourni fusées d’artillerie et munitions aux troupes nordistes de l’Union, elle peut ouvrir une nouvelle usine à Bridgeport, toujours dans le Connecticut.

Avec la chute des Confédérés, les commandes gouvernementales et l’intérêt de Washington pour de nouvelles armes s’amenuisent. Benjamin Hotchkiss décide alors de se tourner vers l’Europe où les tensions internationales s’accroissent.

En 1867, il gagne la France. Il est accompagné de sa maîtresse qu’il épousera frauduleusement, devenant ainsi bigame. Lors de la guerre de 1870, à la demande du Gouvernement de la Défense nationale, il créé une fabrique de cartouches métalliques à Viviez dans l’Aveyron.

Après la guerre franco-prussienne, Hotchkiss se rapproche de Paris, d’abord quai de Jemappes puis pour des raisons d’espace, à Saint-Denis en 1875. Il met au point de nombreuses armes innovantes dont un canon revolver à tir rapide. Il multiplie alors les contrats. Avec l’armée des États-Unis, à laquelle il vend des canons. A l’armurier américain Winchester auquel il cède en 1879 son brevet pour un fusil à répétition. Mais aussi avec la Russie et bien évidemment la France. Animé par un esprit de revanche, le pays réarme massivement et les canons Hotchkiss se retrouvent tant sur les navires que dans la ligne de fortifications du système Séré de Rivières.

Devenu un des premiers fabricant d’armes au monde, Benjamin Hotchkiss s’éteint brutalement le 14 février 1885 à Paris à l’âge de 59 ans.

Logo des automobiles Hotchkiss, ici sur une 686 GS. Photo de Pantoine CC BY 2.5

Son entreprise d’armement lui survit. La mitrailleuse mise au point après sa mort -et à laquelle on donne son nom en hommage- équipe lors de la première guerre mondiale l’armée française ainsi que le corps expéditionnaire américain. En 1903 la société se diversifie en donnant naissance à l’une marque automobile dont l’emblème est directement inspiré de celui de l’United States Army Ordnance Corps, rappelant les origines américaines et armurières de la marque.

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L’armateur qui n’oublia jamais son archipel

S’élevant dans la pyramide sociale britannique jusqu’à devenir un des plus puissants armateurs de son époque, ce fondateur de P&O était aussi un philanthrope.

Arthur Anderson naît en 1792 à proximité de Lerwick, principale bourgade de l’archipel des Shetland. Fils aîné du responsable d’une exploitation de pêche, il bénéficie d’un peu d’éducation mais doit travailler le poisson dès l’âge de 12 ans. Remarquant son intelligence, son employeur lui confie alors des tâches de bureau.

En 1808, il intègre la Royal Navy comme aspirant. Trop peu fortuné pour faire avancer sa carrière, il se résout à devenir secrétaire du capitaine du HMS Bermuda. Après avoir participé aux guerres napoléoniennes sur mer, il est démobilisé en 1815.

Arthur Anderson en 1850, tableau de Thomas Francis Dicksee

Il gagne Londres et devient secrétaire dans la compagnie d’assurance et d’expédition « Willcox & Carreno ». Dès 1822, Brodie Willcox lui propose de prendre la place vacante de son associé. Les deux hommes se lancent alors dans le commerce maritime avec le Portugal et l’Espagne. Profitant des guerres civiles qui s’y déroulent, ils transportent hommes et armes vers la péninsule.

En 1834, après les troubles, ils s’associent à un propriétaire de Steamers (bateaux à vapeur), l’Irlandais Richard Bourne, pour développer les liaisons vers la péninsule ibérique. Avec la nouvelle motorisation à vapeur ils espèrent pouvoir s’imposer. En 1837, grâce à la promesse d’une liaison hebdomadaire et plus rapide que leurs concurrents à voile, ils obtiennent un premier contrat avec l’amirauté britannique pour leur « Peninsular Steam Navigation Company ». En 1840, un nouveau contrat pour l’Égypte et la fusion avec un concurrent donne naissance à la « Peninsular and Oriental Steam Navigation Company ». Celle qu’on surnomme désormais la P&O se développe alors rapidement grâce à ses liaisons vers les Indes, la Chine et l’Australie.

Arthur Anderson devient un des trois directeurs de la compagnie et à la mort de Willcox, en 1862, lui succède comme président. Visionnaire, il défend auprès des autorités britanniques, sans succès, l’idée d’un canal reliant la Méditerranée à la Mer Rouge pour permettre d’accélérer encore les liaisons maritimes.

Devenu un magnat , il n’oublie cependant pas ses racines shetlandaises et modestes. Philanthrope, en 1837 il tente de briser le monopole local des lairds sur la pêche en créant une compagnie. La même année, il présente à la reine Victoria la dentelle des Shetland, initiant une mode qui permet à la dentellerie locale de trouver un nouveau débouché. En 1839, il finance le premier bateau à vapeur acheminant le courrier dans l’archipel. De 1847 à 1852, il est député libéral des Orcades et des Shetland. En 1862, il construit une école à Lerwick et deux ans plus tard un foyer pour les veuves des pêcheurs.

Travaillant sans relâche malgré sa santé déclinante, il s’éteint en 1868 à l’âge de 76 ans.

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La veuve qui enfanta un fleuron industriel

De la Révolution à la Révolution Industrielle, la veuve de Dietrich va traverser les tourments de son époque avec pour seule obsession de léguer à ses enfants une entreprise prospère.

Amélie de Berckheim naît en 1776 à Ribeauvillé en Alsace dans une famille noble. Elle reçoit une excellente éducation et anime même avec ses sœurs un cercle littéraire.

En 1797, elle épouse Jean-Albert-Frédéric de Dietrich, surnommé Fritz. La famille de Dietrich a été durement éprouvée par la Révolution. Propriétaire de terres, de hauts-fourneaux et de forges, elle a vu une partie de ses biens être placée sous séquestre. Le père de Fritz, victime de la Terreur, a été guillotiné en 1793.

Fritz ayant obtenu la levée des séquestres, il s’attelle à la relance des ses usines. Pour les sauver, il vend des biens familiaux et accepte en 1800 de transformer l’entreprise familiale en société par action pour 15 ans : la « Société des Forges du Bas-Rhin ». En 1801, grâce à Bonaparte, il devient inspecteur des Forêts, Îles et Rives du Rhin, procurant ainsi des revenus complémentaires au ménage. Il meurt en 1806, laissant Amélie veuve et en charge de leurs 4 enfants.

Amélie de Berckheim. Photo : Henri Mellon/Association De Dietrich

Décidée à maintenir la maison de Dietrich et ses forges pour l’avenir de ses enfants, Amélie en prend la direction. Elle aliène encore quelques biens patrimoniaux pour apaiser les créanciers et parvient à redresser l’entreprise qui retrouve son niveau de production antérieur à la Révolution et emploie 1000 personnes.

Arrivée à l’échéance de la société par action en 1815, Amélie procède aux différents remboursements des mises de fonds et distribue les intérêts statutaires ainsi que des dividendes. Elle créé ensuite avec certains actionnaires précédents la « Nouvelle Société des Forges du Bas-Rhin » pour 12 ans.

Elle porte un soin particulier à l’éducation de ses deux fils. Pour les préparer à diriger et leur donner les compétences techniques et scientifiques nécessaires, elle les pousse à suivre des études supérieures à l’École des Mines de Saint-Étienne mais également à l’Université de Heidelberg.

En 1827, à l’issue de la nouvelle échéance, elle rembourse à nouveau ses actionnaires et fonde son ultime société ne comptant d’autres actionnaires qu’elle et ses enfants : « Veuve de Dietrich et Fils ». Excessivement vigilante sur l’équilibre financier, Amélie développe des outils comptables particulièrement précis, lui permettant de contrôler les coûts et la rentabilité de chaque produit.

Dirigée avec ses enfants, la société se développe en accompagnant la Révolution Industrielle naissante. Progressivement, elle délaisse la sidérurgie et se diversifie en se lançant dans la production de matériels ferroviaires et mécaniques.

Amélie qui a gagné le surnom de « Dame de Fer » meurt à Strasbourg en 1855 à 79 ans en léguant à ses enfants les bases solides d’un futur fleuron industriel alsacien.

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Pionnier de l’aviation sur deux continents.

Pionnier de l’aviation russe et même mondiale avant la Révolution d’Octobre, Igor Sikorsky s’exile aux États-Unis. C’est sur le Nouveau Continent qu’il va une nouvelle fois renouveler l’aéronautique en contribuant à la naissance de l’hélicoptère moderne.

Igor Ivanovitch Sikorsky naît à Kiev en 1889. Fils d’un psychiatre renommé, il se tourne pourtant vers la technique. Dans la première décennie du XXe siècle, il se passionne pour l’aéronautique alors balbutiante. Ingénieur curieux, il rencontre à Paris des pionniers français avant de tenter, sans succès, de mettre au point ses premiers hélicoptères. Si les appareils décollent, ils sont incapables de soulever plus que leur propre poids et a fortiori un pilote.

Igor Sikorsky devant le premier « Ilia Mouromets », hiver 1913/14

Il se concentre alors sur la conception d’avion, concevant, construisant et testant lui-même ses prototypes. En 1913, alors qu’il travaille à Saint-Pétersbourg pour les ateliers aéronautiques de l’Usine de Wagons Russo-Balte, il construit le S-22 Ilia Mouromets, premier avion de ligne au monde capable d’embarquer des passagers. Particulièrement bien conçu, l’appareil devient même avec la guerre le premier bombardier produit en série.

Lorsque les bolchéviques prennent le pouvoir, celui qui a été décoré par le Tsar craint pour sa vie. Il quitte alors la Russie en 1918 pour se mettre un temps au service du gouvernement français avant de s’exiler aux États-Unis en 1919.

D’abord professeur pour survivre, il fonde en 1923 la Sikorsky Aero Engineering Corporation. Installée dans la ferme d’un ami Russe Blanc, l’entreprise ne doit alors sa survie qu’à l’intervention inattendue du compositeur Serge Rachmaninoff qui décide d’y investir 5000 $. Reconnaissant, Igor lui propose de devenir vice-président.

Ce sont les hydravions qui vont permettre à Sikorsky d’accéder à une nouvelle reconnaissance sur le continent américain. En 1934, la compagnie aérienne Pan American Airways recherche un hydravion capable de voler 4000 km sans escale. Le S-42 remporte l’appel d’offre et gagne le surnom de Pan Am Clipper. Il est alors le premier hydravion véritablement capable de traverser les océans.

En 1939, porté par les progrès techniques, Igor Sikorsky retourne à sa passion première, les hélicoptères, et révolutionne la conception des appareils à voilures tournantes. Avec le Vought-Sikorsky VS-300, il expérimente un rotor de queue pour contrer les problèmes de couple généré par le rotor principal. Simple et efficace, cette architecture va être adoptée dans le monde entier. Le premier hélicoptère à être produit massivement en série est donc sans surprise un Sikorsky, le R-4. L’entreprise se consacre alors désormais principalement à ces machines.

Son rêve enfin accompli, Igor Sikorsky prend sa retraite en 1957 mais demeure consultant. Il décède en 1972. Son entreprise est encore aujourd’hui une référence mondiale.

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L’entrepreneur qui se rêvait empereur

La frontière entre intuition géniale et folle aventure, entre succès et débâcle, est parfois mince comme un grain de sable. Riche héritier français du début du XXe siècle, Jacques Lebaudy va en faire la cruelle expérience.

Jacques Lebaudy est issu d’une famille normande ayant fait fortune dans le raffinage du sucre. Son père est un redoutable financier et un riche propriétaire immobilier parisien. Deux de ses oncles sont des personnalités politiques de premier plan.

A la mort de son père, il fait fructifier son important héritage en investissant en bourse, dans les chevaux de courses et de grandes entreprises. C’est en tant que directeur général de la Compagnie Franco-Algérienne qu’il s’intéresse pour la première fois au Sahara. Malgré de grands projets comme la création d’une voie ferrée entre Algérie et Sénégal, il ne parvient pas a développer la société qui est finalement nationalisée.

La longue et minutieuse étude de la géographie du Sahara a fait naître dans l’esprit de Lebaudy un audacieux projet. Face aux îles Canaries, le cap Juby, au riche sous-sol, se situe dans une zone contestée entre le sultanat du Maroc et le protectorat espagnol. Il décide alors de la coloniser pour lui-même !

Jacques Lebaudy avant 1908, photo de V. Gribayedoff

En 1903, il gagne le Cap Juby sur sa goélette Frasquita, déclare la fondation de l’Empire du Sahara et prend le nom de Jacques Ier. Symboliquement, une capitale est fondée plus au sud sous le nom de Troja. En attendant l’édification d’une ville minière, le modeste campement est confié à la garde de 5 marins. Lesquels sont malheureusement capturés par une tribu locale qui exige une rançon.

Alors qu’il se prépare à les libérer avec une nouvelle expédition Lebaudy attire l’attention des Espagnols, bien décidés à empêcher son implantation. La capture des marins et la publicité faite à Paris autour de ce nouvel Empire du Sahara -sur l’initiative de Lebaudy- suscite également la colère du gouvernement français, alors en pleine négociation avec l’Espagne sur le tracé des frontières coloniales…

Le croiseur Galilée, commandé par le frère de Jean Jaurès, est envoyé au secours des pauvres marins.

En Europe, Jacques Lebaudy tente envers et contre tous de faire reconnaître son empire naissant par d’autres que la seule république du Libéria. Hélas, il est surtout la cible des moqueries de la presse.

Poursuivi par la justice française, il se réfugie dans différents pays européens avant de gagner les États-Unis en 1907. Là, il poursuit brillamment sa carrière financière à la bourse de New-York mais sans jamais renoncer à son titre d’Empereur du Sahara.

Personnage excentrique bien avant son aventure saharienne, Jacque Lebaudy sombre finalement dans la folie à partir de 1915. Il est interné à plusieurs reprises jusqu’au jour fatal du 12 janvier 1919. Son épouse, craignant pour sa vie et celle de leur fille, l’abat de 5 balles durant son ultime crise.

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Le fondateur de GM viré… deux fois.

Précurseur de l’automobile au début du XXe siècle et fondateur de l’une des Big Three de l’automobile américaine, William Durant sera pourtant évincé deux fois de l’empire automobile qu’il contribua à bâtir.

William C Durant en 1916

William Crapo Durant naît en 1861 à Boston. Suite au divorce de ses parents, sa mère et lui s’installent à Flint chez son grand-père maternel. Henry H. Crapo est bien implanté localement. Il a été maire de la petite ville, gouverneur du Michigan, et possède une des plus importantes entreprises de bois de l’état. C’est ici que William fonde en 1886 avec un associé la Durant-Dort Carriage Company qui devient en quelques années le premier producteur de chariots des États-Unis.

En 1904, il contribue à sauver la Buick Motor Company naissante jusqu’à en faire en 1908 le plus gros producteur d’automobiles des États- Unis devant Ford et Cadillac combinés.

Après l’échec d’une alliance avec trois constructeurs dont Ford, il cofonde en 1908 la General Motors Company. A Buick, s’ajoutent Oldsmobile, Oakland (future Pontiac) et Cadillac. Comme avec la Durant-Dort Company, William souhaite proposer des produits adaptés à chaque client et tout contrôler, des pièces détachées jusqu’aux services. Pour remplir ces objectifs, il achète de nombreuses entreprises, accumulant les emprunts.

En 1910, la situation devient critique. General Motors manque de liquidités pour assurer son fonctionnement et son développement. Les banquiers accordent le prêt salvateur en échange du contrôle de la compagnie par un conseil de cinq administrateurs. William devient vice-président mais perd son pouvoir de décision.

En 1911, il s’associe au pilote de course suisse Louis Chevrolet pour fonder une marque au nom de ce dernier. Chevrolet rencontre un succès immédiat malgré la brouille entre les deux hommes en 1913. Seul aux commandes, William utilise ses gains pour acheter des actions de General Motors. En 1916, majoritaire, il reprend le contrôle de GM et en devient président.

Sa seconde éviction survient en 1920. Tandis que le cours des actions GM est à la baisse, ses initiatives hasardeuses en bourse, destinées à maintenir le cours, le conduisent au bord de la faillite personnelle. Craignant que celle-ci entraîne la ruine de tous les actionnaires et même le naufrage de General Motors, ses financeurs consentent à l’aider contre la cession de ses parts et sa démission.

William C. Durant et sa seconde épouse Catherine Lederer en 1928, photo de George Grantham Bain.

Opiniâtre, William fonde dès 1921 une ultime firme automobile : Durant Motors. Mais la crise de 1929 frappe une entreprise déjà fragile qui disparaît en 1933. Trois ans plus tard, en 1936, William se déclare en faillite personnelle. Il croit pouvoir renouer avec le succès en ouvrant à Flint une salle de bowling, loisir qu’il pense promis à un bel avenir, mais il est victime d’un AVC en 1942 et se retire à New York où il meurt en 1947.

Le Bureau du Patron réunit des articles brefs consacrés à l’histoire d’entrepreneurs atypiques aux fortunes diverses.