Durant la Guerre Froide, travailler pour la Marine Nationale et un des plus importants groupes industriels de France n’excluait pas quelques cachotteries…
En 1953, La Marine Nationale lançait le chantier d’une nouvelle classe de sous-marin d’attaque avec Le Narval. La construction des moteurs diesel était confiée à la Société des Forges et Ateliers du Creusot (SFAC), filiale de la puissante Schneider et Cie. Les réducteurs étaient sous-traités aux Ateliers et Chantier de Bretagne (ACB) à Nantes.
Chef-Monteur aux ACB, Yvon MOY, mon défunt grand-père, a été envoyé au Creusot en 1953 et 1954. Il devait assister au montage sur le moteur, aux essais et aux réglages du groupe réducteur Vulcan.
Très fier de ce chantier encore 40 ans plus tard, il en avait conservé quelques documents : carnets de relevés d’essais et échanges avec la direction des ACB.
C’est en triant ces lettres et télégrammes dont j’ai hérité que j’ai découvert une intéressante pièce.
Entre les très officielles lettres dactylographiées donnant des consignes ou rendant compte se trouvait une note griffonnée sur un morceau de feuille.
« 7-10-53
Mon cher Moy,
Il est bien évident que les contrôles que nous vous demandons par ailleurs doivent être effectués avec les plus grandes précautions, de manière à éviter toute question indiscrète des Services de la Surveillance ou de notre client –
Bien cordialement
Rouet »
Les premiers essais au Creusot du réducteur Vulcan avaient commencé le 25 septembre 1953. Dans un brouillon de lettre en date du 5 octobre, mon aïeul semblait s’inquiéter de traces (portage) sur le coussinet inférieur d’un palier. La réponse officielle de la direction le 7 octobre se voulait rassurante. Peut-être s’agissait-il déjà d’un élément de langage à destination de la SFAC.
Mais , il était également demandé de « faire votre possible pour examiner ce coussinet inférieur et nous téléphoner le résultat de vos observations ». Si nous faisons le lien avec la note datée du même jour, il apparaît vraisemblable que ce point particulier inquiétait les ACB et qu’ils craignaient que cela soit découvert tant par la SFAC que par les mystérieux « Services de la Surveillance » (ceux de la Marine ? Du ministère de la Défense nationale et des Forces armées ?).
La poursuite de la campagne d’essais durant l’année 1954 donna satisfaction aux ACB et à la SFAC. Le développement du Narval et du Marsouin se poursuivit jusqu’à leur lancement en 1957. La petite cachotterie initiale aura donc été sans conséquence.