Une image de marque bancale

(une approche amusée de l’histoire d’entreprise)

Audaciter calomniare semper aliquid haeret. « Calomniez audacieusement, il en restera toujours quelque chose ». Ce proverbe latin semble particulièrement convenir à la marque Reliant, dont l’image de marque est durablement écornée. Même au delà des îles britanniques ou du cercle restreint des amateurs de curiosités automobiles. Et pourtant…

Reliant Regal Van. Photo de Mick. Licence CC BY 2.0

Une célèbre inconnue

Constructeur britannique établi en 1935, Reliant s’est progressivement spécialisé dans la construction de petits véhicules en fibre de verre à trois roues. Une niche fiscale et légale, plus qu’un réel engouement pour cette curieuse architecture, explique la persistance d’un marché pour ces véhicules. A l’instar des voitures sans permis en France.

Comme les voiturettes dans l’Hexagone, les productions de Reliant ont rapidement souffert d’une image de véhicules pour personnes âgées ou détenteurs d’un permis de seconde zone. A cela s’ajoutaient quelques doutes sur sur la stabilité en courbe de ces curieux engins.

Ceux pour qui le nom Reliant n’évoque toujours rien connaissent probablement malgré tout ses productions.

Dans son show télévisé, Mr Bean, de 1990 à 1995, Rowan Atkinson a fait d’une Reliant un personnage récurrent. Au volant de sa Mini, le terrible Bean affronte à de multiples reprises une Reliant Regal Supervan bleue finissant presque invariablement sur le côté.

La première rencontre entre Mr Bean et Reliant
A la fin du sketch, le running gag Mini vs Reliant Regal

Les plus jeunes et les amateurs d’automobiles ont découvert Reliant et sa triste réputation avec l’émission de divertissement Top Gear. Dans un épisode de 2010 devenu culte, l’animateur Jeremy Clarkson procède à l’essai d’une Reliant Robin dans les rues de Sheffield. Sans surprise, la voiture se retourne tout au long de l’essai.

Jeremy Clarkson das ses oeuvres

Pourquoi laver l’honneur de Reliant ?

Contrairement aux propriétaires de ces trois-roues, la marque Reliant qui a cessé de produire des véhicules en 2001 ne devrait guère souffrir de ces sarcasmes.

Oui mais voilà, Reliant n’est pas morte. Elle est désormais spécialisée dans la vente de pièces détachées pour ses anciennes productions.

Or les prestigieuses et défuntes ou mourantes marques d’Outre-Manche se sont signalées ces dernières années par une formidable capacité à renaître d’entre les morts : MG, Mini, Norton et Triumph par exemple.

Si l’envie venait à des investisseurs de relancer la marque, comment un historien d’entreprise pourrait-il alors contribuer à restaurer l’image de la très bancale Reliant ?

Tout d’abord en rappelant que les mythiques cascades de Clarkson sont le fruit d’un sabotage volontaire. L’équipe de production, pour s’assurer de spectaculaires pertes d’adhérence avait en effet, selon les propres dires du pilote en 2016, modifié le différentiel.

Cela ne suffira peut-être pas à rassurer d’éventuels clients sur la stabilité de cette solution technique…

Nous rappellerons alors que Reliant a également construit des années 1960 au milieu des années 1990 de petit coupés et cabriolets artisanaux dans la plus pure tradition britannique : la Sabre et les différents avatars de la Scimitar. Fibre de verres et moteur de grande série, comme Lotus. Entreprise fondée avant la guerre comme Morgan.

La Princesse Anne et une de ses 8 Scimitars

De plus, dans une monarchie millénaire, il n’est sans doute pas inutile de mentionner que la princesse Anne appréciait particulièrement la Scimitar. A la GTE offerte par ses royaux parents pour ses 20 ans ont succédé pas moins de sept autres exemplaires.

La voiture d’une lointaine galaxie

Enfin, si toutefois Reliant s’obstinait à vouloir renouer avec ses three-wheelers, alors devrait être mis en avant un ultime argument imparable. Une bonne partie des enfants de la galaxie a un jour rêvé de piloter une Reliant… sans le savoir.

Ogle Design a dessiné plusieurs modèles pour Reliant. La fameuse Scimitar, la moins glorieuse Robin et l’étrange Bond Bug. Cette dernière était une tentative de toucher un public plus jeune avec un dessin plus futuriste et sportif (pour l’époque).

La Bond Bug. Photo de Mick CC BY 2.0

Au début des années 1970, Ogle Design est contactée par Lucasfilm pour construire le Landspeeder de Luke Skywalker dans le premier volet (mais l’épisode IV) de Star Wars. L’équipe va justement choisir le châssis à trois roues de la Bond Bug.

Steve Sansweet et un landspeeder à la Star Wars Celebration V. Photo The Conmunity CC BY 2.0

La Force des Jedi permettrait elle à ces trois roues de ne plus jamais se renverser ? Et à la réputation de Reliant de se relever ?

Pionnier de l’aviation sur deux continents.

Pionnier de l’aviation russe et même mondiale avant la Révolution d’Octobre, Igor Sikorsky s’exile aux États-Unis. C’est sur le Nouveau Continent qu’il va une nouvelle fois renouveler l’aéronautique en contribuant à la naissance de l’hélicoptère moderne.

Igor Ivanovitch Sikorsky naît à Kiev en 1889. Fils d’un psychiatre renommé, il se tourne pourtant vers la technique. Dans la première décennie du XXe siècle, il se passionne pour l’aéronautique alors balbutiante. Ingénieur curieux, il rencontre à Paris des pionniers français avant de tenter, sans succès, de mettre au point ses premiers hélicoptères. Si les appareils décollent, ils sont incapables de soulever plus que leur propre poids et a fortiori un pilote.

Igor Sikorsky devant le premier « Ilia Mouromets », hiver 1913/14

Il se concentre alors sur la conception d’avion, concevant, construisant et testant lui-même ses prototypes. En 1913, alors qu’il travaille à Saint-Pétersbourg pour les ateliers aéronautiques de l’Usine de Wagons Russo-Balte, il construit le S-22 Ilia Mouromets, premier avion de ligne au monde capable d’embarquer des passagers. Particulièrement bien conçu, l’appareil devient même avec la guerre le premier bombardier produit en série.

Lorsque les bolchéviques prennent le pouvoir, celui qui a été décoré par le Tsar craint pour sa vie. Il quitte alors la Russie en 1918 pour se mettre un temps au service du gouvernement français avant de s’exiler aux États-Unis en 1919.

D’abord professeur pour survivre, il fonde en 1923 la Sikorsky Aero Engineering Corporation. Installée dans la ferme d’un ami Russe Blanc, l’entreprise ne doit alors sa survie qu’à l’intervention inattendue du compositeur Serge Rachmaninoff qui décide d’y investir 5000 $. Reconnaissant, Igor lui propose de devenir vice-président.

Ce sont les hydravions qui vont permettre à Sikorsky d’accéder à une nouvelle reconnaissance sur le continent américain. En 1934, la compagnie aérienne Pan American Airways recherche un hydravion capable de voler 4000 km sans escale. Le S-42 remporte l’appel d’offre et gagne le surnom de Pan Am Clipper. Il est alors le premier hydravion véritablement capable de traverser les océans.

En 1939, porté par les progrès techniques, Igor Sikorsky retourne à sa passion première, les hélicoptères, et révolutionne la conception des appareils à voilures tournantes. Avec le Vought-Sikorsky VS-300, il expérimente un rotor de queue pour contrer les problèmes de couple généré par le rotor principal. Simple et efficace, cette architecture va être adoptée dans le monde entier. Le premier hélicoptère à être produit massivement en série est donc sans surprise un Sikorsky, le R-4. L’entreprise se consacre alors désormais principalement à ces machines.

Son rêve enfin accompli, Igor Sikorsky prend sa retraite en 1957 mais demeure consultant. Il décède en 1972. Son entreprise est encore aujourd’hui une référence mondiale.

Le Bureau du Patron réunit des articles brefs consacrés à l’histoire d’entrepreneurs atypiques aux fortunes diverses

Un petit problème de logo

Au début des années 1970, alors qu’elle se prépare à lancer la révolutionnaire R5, la Régie Renault décide de renouveler également son image avec un logo inédit. Elle sera malheureusement coupée dans son élan par la justice. A une échelle réduite, un autre constructeur français d’automobiles indirectement mais fortement lié à Renault a échappé aux même poursuites…

A l’été 1971, Renault met sur le marché deux coupés sportifs, la R15 et la R17. Ceux-ci inaugurent un nouveau logo dessiné par Michel Boué qui est également auteur de la R5. La petite citadine dont la Régie attend beaucoup sort en janvier 1972 attirant inévitablement l’attention des médias.

Renault R17. Photo G.Brunet

C’est ainsi que l’entreprise Kent, fabriquant de produits chimiques dédiés à l’entretien et la réparation des véhicules, découvre un logo qu’elle juge beaucoup trop proche du sien. Renault est attaquée en justice et perd. Un nouveau logo est alors dessiné par « Yvaral » le fils de Victor Vasarely. Pour les véhicules déjà vendus, une campagne de rappel est organisée pour remplacer le logo désormais interdit.

Certains propriétaires ignoreront le courrier et quelques modèles survivront ainsi jusqu’à nos jours en arborant ce rare emblème, ajoutant au fil du temps à leur valeur.

Le logo interdit encore présent sur un modèle photographié en 2022. Photo G.Brunet

Ayant cette histoire en tête, au hasard d’un vide-grenier, j’ai découvert il y a quelques jours un développement inédit de cette étonnante histoire.

La tempête judiciaire qui s’est abattue sur Renault en 1972 a certainement fait trembler un autre constructeur d’automobiles, Majorette.

R17 TS Majorette produite entre 1974 et 1977. Photo G. Brunet

Lorsque commence la production du modèle réduit de la R17 TS en septembre 1973, l’affaire qui oppose Renault à Kent est déjà close. Oui, mais à une époque ou tout est encore conçu et dessiné à la main, sans logiciel de DAO ou PAO, la création d’une miniature peut prendre jusqu’à 18 mois. La base qui a servi d’inspiration aux réducteurs est donc très certainement un des premiers exemplaires avec le logo interdit.

Le logo de la miniature, identique à celui de Renault contesté par Kent. Photo G. Brunet

L’examen attentif d’un modèle non restauré, acquis en vide-grenier, révèle que c’est bien ce logo qui figure les R17 de Majorette. La lecture de la très instructive page de mininches.com sur le sujet nous apprend que si différentes modifications ont été apportées au modèles entre 1973 et 1978, aucune n’a concerné le logo. La mansuétude, l’indifférence ou la presbytie des avocats de Kent aura donc finalement protégé la production de Majorette d’un procès. Il aurait été bien difficile pour la petite marque de se contenter de remplacer les logos sur les milliers de modèles déjà produits…

L’auteur tient à remercier le jeune Pierrig M. grâce à qui cette découverte a été possible.

Pour aller plus loin :

Le Whisky qui n’existait (presque) pas

Les aventures de Tintin accompagnent une majorité d’entre nous depuis notre plus tendre enfance. Ainsi, de 7 à 77 ans, du simple amateur au tintinophile averti, chacun est capable de citer sans hésiter une seule seconde le whisky préféré du Capitaine Haddock. Une marque pas si fictive que cela…

gamme des produits Loch Lomond en 2020, photo de abbieclements CC-BY-SA 4.0

En 1965 l’éditeur britannique de Tintin souhaite publier l’album L’Île Noire qui n’a encore jamais été traduit en anglais. Il demande toutefois à Hergé de bien vouloir mettre à jour le dessin et corriger de nombreuses invraisemblances que ne manquerait pas de relever le public de sa très gracieuse majesté. En effet, la première publication de l’album remonte à 1937 et, à l’époque, Hergé l’a dessiné sans mener une étude préalable approfondie.

En 1966, l’ensemble de l’album est donc remanié et redessiné par les Studios Hergé pour mettre au goût du jour les décors et accessoires. Parmi ces retouches, la marque de Whisky Johnnie Walker qui apparaît à de nombreuses reprises est remplacée par une marque que l’on pense alors fictive, Loch Lomond. Peut-être par crainte de poursuites de la célèbre marque écossaise, nous l’ignorons.

Loch Lomond, n’est pas un nom sorti de l’imagination d’Hergé ou de Bob de Moor, son assistant qui s’est rendu en Écosse pour prendre les photos nécessaires à cette nouvelle édition révisée. Il désigne le plus grand loch de Grande-Bretagne, situé à une vingtaine de kilomètres au Nord-Ouest de Glasgow. A Bruxelles,on pense sans doute alors en toute bonne foi avoir trouvé un nom parfait pour un whisky fictif.

Or en 1964, par une extraordinaire coïncidence que ne renierait pas un scénariste de BD, la Littlemill Distillery Company rachète une ancienne teinturerie au sud du loch à Alexandria. Pour son nouvel établissement, elle décide de relever le nom d’une distillerie disparue au XIXe siècle. Située au nord du lac, Loch Lomond a été active de 1814 à 1817. Son héritière qui lance sa production en 1965 connaît une carrière plus longue et agitée. Elle ferme ses portes en 1984, est rachetée dès l’année suivante mais ne reprend la production de whisky qu’en 1987. En 1997, un incendie détruit 300 000 litres de whisky. Malgré ces péripéties et un rachat, la distillerie Loch Lomond existe toujours aujourd’hui.

Étonnamment, en bientôt 60 ans, cette amusante coexistence n’a donné lieu à aucun partenariat commercial. Et surtout, à aucune poursuite judiciaire, pour le plus grand bonheur des amateurs du breuvage écossais et des fans du petit reporter belge.

L’entrepreneur qui se rêvait empereur

La frontière entre intuition géniale et folle aventure, entre succès et débâcle, est parfois mince comme un grain de sable. Riche héritier français du début du XXe siècle, Jacques Lebaudy va en faire la cruelle expérience.

Jacques Lebaudy est issu d’une famille normande ayant fait fortune dans le raffinage du sucre. Son père est un redoutable financier et un riche propriétaire immobilier parisien. Deux de ses oncles sont des personnalités politiques de premier plan.

A la mort de son père, il fait fructifier son important héritage en investissant en bourse, dans les chevaux de courses et de grandes entreprises. C’est en tant que directeur général de la Compagnie Franco-Algérienne qu’il s’intéresse pour la première fois au Sahara. Malgré de grands projets comme la création d’une voie ferrée entre Algérie et Sénégal, il ne parvient pas a développer la société qui est finalement nationalisée.

La longue et minutieuse étude de la géographie du Sahara a fait naître dans l’esprit de Lebaudy un audacieux projet. Face aux îles Canaries, le cap Juby, au riche sous-sol, se situe dans une zone contestée entre le sultanat du Maroc et le protectorat espagnol. Il décide alors de la coloniser pour lui-même !

Jacques Lebaudy avant 1908, photo de V. Gribayedoff

En 1903, il gagne le Cap Juby sur sa goélette Frasquita, déclare la fondation de l’Empire du Sahara et prend le nom de Jacques Ier. Symboliquement, une capitale est fondée plus au sud sous le nom de Troja. En attendant l’édification d’une ville minière, le modeste campement est confié à la garde de 5 marins. Lesquels sont malheureusement capturés par une tribu locale qui exige une rançon.

Alors qu’il se prépare à les libérer avec une nouvelle expédition Lebaudy attire l’attention des Espagnols, bien décidés à empêcher son implantation. La capture des marins et la publicité faite à Paris autour de ce nouvel Empire du Sahara -sur l’initiative de Lebaudy- suscite également la colère du gouvernement français, alors en pleine négociation avec l’Espagne sur le tracé des frontières coloniales…

Le croiseur Galilée, commandé par le frère de Jean Jaurès, est envoyé au secours des pauvres marins.

En Europe, Jacques Lebaudy tente envers et contre tous de faire reconnaître son empire naissant par d’autres que la seule république du Libéria. Hélas, il est surtout la cible des moqueries de la presse.

Poursuivi par la justice française, il se réfugie dans différents pays européens avant de gagner les États-Unis en 1907. Là, il poursuit brillamment sa carrière financière à la bourse de New-York mais sans jamais renoncer à son titre d’Empereur du Sahara.

Personnage excentrique bien avant son aventure saharienne, Jacque Lebaudy sombre finalement dans la folie à partir de 1915. Il est interné à plusieurs reprises jusqu’au jour fatal du 12 janvier 1919. Son épouse, craignant pour sa vie et celle de leur fille, l’abat de 5 balles durant son ultime crise.

Le Bureau du Patron réunit des articles brefs consacrés à l’histoire d’entrepreneurs atypiques aux fortunes diverses.

Objets inanimés, avez-vous donc une histoire ?

Derrière cet emprunt aux vers de Lamartine se cache une réelle interrogation.
Lors de mes rencontres professionnelles, il est arrivé plusieurs fois que mon interlocuteur s’inquiète, avec une pointe de gêne, de n’avoir rien conservé ou presque de l’histoire de son entreprise, aucune machine ancienne et, a fortiori, aucun produit fini. Comment alors raconter et illustrer cette histoire ?

C’est justement le propre de l’Historien que de faire parler les indices ténus qui ont survécus. De les croiser avec d’autres témoignages pour retracer les fils de la mémoire.

Pour illustrer mon propos, une brève anecdote personnelle.

Après le décès de mes grands-parents, j’ai hérité d’une poignée de piécettes éparses sans grande valeur et d’un petit médaillon. Il s’agissait typiquement des fonds de poche qu’un voyageur ramène à l’issue de son périple faute d’avoir pu les changer et aussi pour conserver un souvenir à peu de frais.

Les pays d’origine et les dates des pièces, principalement de 1950 à 1969, m’ont permis de les attribuer sans difficulté et avec certitude à mon grand-père.

Avec elles a ressurgi une partie de sa vie professionnelle. Ouvrier aux ateliers et Chantiers de Bretagne à Nantes (ACB), je savais qu’il avait effectué de nombreux déplacements. Ces monnaies m’ont permis d’interroger et de réveiller l’histoire familiale pour en apprendre plus encore.

Ma mère et mes tantes ont affiné les dates des voyages et les destinations. Elles m’ont raconté le déchirement pour lui de quitter son épouse adorée mais la nécessité d’obtenir des primes pour nourrir une famille nombreuse et payer sa maison. Mais aussi les joies inattendues de cet éloignement subi, avec le coup de foudre pour le Portugal et le Fado. Enfin, le séjour au nord du cercle arctique à Mourmansk, en URSS, dans des conditions climatiques et politiques glaciales…

L’examen de ces pièces et du médaillon de Bielefeld m’a aussi fait réaliser que le savoir des ACB était à cette époque recherché non seulement par quelques pays pauvres mais également par des puissances financières ou techniques de premier plan, comme la Suisse ou l’Allemagne.

Par ce qu’elles disaient ou ce qu’elles ont fait ressurgir, ces quelques pièces m’en ont finalement appris beaucoup.

Il y a, sans aucun doute, dans vos ateliers ou vos bureaux des objets qui attendent de raconter une partie de l’histoire de votre entreprise.

Le fondateur de GM viré… deux fois.

Précurseur de l’automobile au début du XXe siècle et fondateur de l’une des Big Three de l’automobile américaine, William Durant sera pourtant évincé deux fois de l’empire automobile qu’il contribua à bâtir.

William C Durant en 1916

William Crapo Durant naît en 1861 à Boston. Suite au divorce de ses parents, sa mère et lui s’installent à Flint chez son grand-père maternel. Henry H. Crapo est bien implanté localement. Il a été maire de la petite ville, gouverneur du Michigan, et possède une des plus importantes entreprises de bois de l’état. C’est ici que William fonde en 1886 avec un associé la Durant-Dort Carriage Company qui devient en quelques années le premier producteur de chariots des États-Unis.

En 1904, il contribue à sauver la Buick Motor Company naissante jusqu’à en faire en 1908 le plus gros producteur d’automobiles des États- Unis devant Ford et Cadillac combinés.

Après l’échec d’une alliance avec trois constructeurs dont Ford, il cofonde en 1908 la General Motors Company. A Buick, s’ajoutent Oldsmobile, Oakland (future Pontiac) et Cadillac. Comme avec la Durant-Dort Company, William souhaite proposer des produits adaptés à chaque client et tout contrôler, des pièces détachées jusqu’aux services. Pour remplir ces objectifs, il achète de nombreuses entreprises, accumulant les emprunts.

En 1910, la situation devient critique. General Motors manque de liquidités pour assurer son fonctionnement et son développement. Les banquiers accordent le prêt salvateur en échange du contrôle de la compagnie par un conseil de cinq administrateurs. William devient vice-président mais perd son pouvoir de décision.

En 1911, il s’associe au pilote de course suisse Louis Chevrolet pour fonder une marque au nom de ce dernier. Chevrolet rencontre un succès immédiat malgré la brouille entre les deux hommes en 1913. Seul aux commandes, William utilise ses gains pour acheter des actions de General Motors. En 1916, majoritaire, il reprend le contrôle de GM et en devient président.

Sa seconde éviction survient en 1920. Tandis que le cours des actions GM est à la baisse, ses initiatives hasardeuses en bourse, destinées à maintenir le cours, le conduisent au bord de la faillite personnelle. Craignant que celle-ci entraîne la ruine de tous les actionnaires et même le naufrage de General Motors, ses financeurs consentent à l’aider contre la cession de ses parts et sa démission.

William C. Durant et sa seconde épouse Catherine Lederer en 1928, photo de George Grantham Bain.

Opiniâtre, William fonde dès 1921 une ultime firme automobile : Durant Motors. Mais la crise de 1929 frappe une entreprise déjà fragile qui disparaît en 1933. Trois ans plus tard, en 1936, William se déclare en faillite personnelle. Il croit pouvoir renouer avec le succès en ouvrant à Flint une salle de bowling, loisir qu’il pense promis à un bel avenir, mais il est victime d’un AVC en 1942 et se retire à New York où il meurt en 1947.

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Quand la CIA provoquait une pénurie d’insecticide

Même froide, la guerre a déjà provoqué une pénurie à l’Ouest.
En 1955, Shell doit choisir entre la fourniture à la CIA d’un carburant d’exception et l’approvisionnement d’un fabriquant d’insecticide.

Au début de la Guerre froide, les États-Unis souhaitent développer un avion de reconnaissance à long rayon d’action capable de survoler l’URSS. Pour échapper aux radars et aux missiles, il doit être capable d’évoluer à très haute altitude : 70 000 pieds soit environ 21 300 mètres.

U-2 sur le pont d’envol du porte-avions USS AMERICA (CV 66). Photo US Navy

La proposition retenue par la CIA est celle de Lockheed. L’avion, qui prendra le nom de U-2 (comme un célèbre groupe de rock irlandais par la suite), doit faire face à de nombreux défis technologiques. Le vol à une altitude aussi élevée génère en effet des contraintes majeures et encore inédites. Parmi celles-ci, le besoin d’un carburant résistant à l’ébullition et l’évaporation.

Alors Vice-Président de la Shell Oil Company et proche conseiller du président Eisenhower, James H. Doolittle (l’auteur du raid sur Tokyo en 1942) intervient pour permettre l’élaboration par Shell d’un carburant adapté. En 1955, le JP-7, avec un point d’ébullition à 149°C au niveau de la mer, est prêt.

Pompe à insecticide Flit de 1928. Musée de Hambourg. Photo de Andreas Franzkowiak CC BY-SA 3.0

Toutefois la fabrication de ce carburant exige l’usage de sous-produit pétroliers habituellement destinés à la production d’un célèbre insecticide, le Flit. Afin de fournir les quantités énormes de carburant JP-7 destinées au premiers vols de l’U-2, Shell doit se résoudre durant le printemps et l’été 1955 à restreindre la fourniture à Flit des sous-produits tant convoités. Provoquant ainsi une pénurie d’insecticide dans tout le pays.

Dans les décennies suivantes, le Flit -comportant du DDT progressivement interdit- disparaîtra des étals tandis que le JP-7 poursuivra une longue et prestigieuse carrière. Il propulsera l’un des avions militaires le plus rapide du monde et accessoirement successeur de l’U-2 : le SR-71 Blackbird.

Ravitaillement en vol d’un SR-71 par un KC-135 Stratotanker en 1983. Photo de Ken Hackman, USAF

Bata, l’entreprise qui fondait des villes

Lorsqu’on évoque les villes portant le nom d’un dirigeant, les première images qui viennent à l’esprit sont probablement les nombreuses Alexandrie de l’Antiquité ou les Karl-Marx-Stadt et Leningrad du bloc communiste. Pas celles de cités ouvrières modernes édifiées par une entreprise de rang mondial…
Et pourtant, les dirigeants de Bata ont fondé dans le monde entier des villes qui conservent aujourd’hui encore leur nom.

En 1894, à Zlin, Tomáš, Antonín et leur sœur Anna Bat’a, issus d’une lignée de cordonniers, fondent une compagnie de fabrication de chaussures. Celle-ci se développe au tournant du siècle en adoptant la mécanisation et les méthodes de la production de masse observées aux États-Unis. Lorsque survient la première guerre mondiale, l’entreprise qui se trouve alors d’ans l’empire austro-hongrois tire profit des commandes militaires. A l’issue du conflit Bata parvient à se maintenir malgré la crise qui touche la jeune Tchécoslovaquie au début des années 1920 puis à se développer encore grâce à sa politique de prix bas. Le succès permet à l’entreprise, entre les années 1920 et 1930, de dépasser les frontières tchécoslovaques pour s’implanter en Europe, jusqu’à devenir un leader mondial.

L’usine Bata de Zlín durant l’entre deux guerres. Photo de Bata Brands SA CC BY-SA 3.0

La petite agglomération morave de Zlín devient une ville moderne. Tomáš Bat’a, devenu maire en 1923, y expérimente une nouvelle conception de la cité ouvrière alliant paternalisme hérité du XIXe siècle et un attrait pour l’urbanisme moderne typique de l’entre deux guerres. Sous la direction d’architectes, de nouveaux quartiers voient le jour entre 1923 et 1938, associant usines, logements, écoles, réseau de transport, services, magasins, activités culturelles et sportives.

Le modèle de Zlin va s’exporter en Europe. Afin de s’implanter sur des marchés prometteurs et de contourner les barrières douanières, Tomáš Bat’a installe des usines dans différents pays : à Borovo dans le Royaume de Yougoslavie et à Ottmuth en Allemagne en 1931, à Chełmek en Pologne et à Möhlin en Suisse en 1932. C’est en souhaitant se rendre dans cette dernière localité que Tomáš Bat’a décède dans un accident d’avion la même année.

Deux bâtiment de l’usine Bata de Möhlin en 2012. Photo de Roland Zumbuehl CC BY-SA 3.0

Le demi-frère de Tomáš, Jan-Antonín, désormais à la tête de l’entreprise poursuit son développement selon la même vision. Parallèlement aux nombreux ateliers, les cités ouvrières sont achevées et de nouvelles voient le jour. Certaines prennent même désormais le nom de Bata : Bataville sur la commune d’Hellocourt en France en 1932, Batadorp à Best aux Pays-Bas et même Batanagar aux Indes britanniques en 1934.

En 1939, malgré le démantèlement de la Tchécoslovaquie, l’entreprise fonde l’usine Baťovany à Šimonovany alors dans la République Slovaque, inféodée aux Allemands. La même année, au Canada, Batawa accueille de nombreux travailleurs tchèques ayant fui la Bohême et la Moravie occupées par les nazis.

Usine de Bataville en France dans les années 1940. Carte postale de l’entreprise Bata CC BY-SA 2.0

L’expérience acquise par Bata permet à l’entreprise de développer une méthode et des standards. Jusqu’à éditer un véritable manuel. Pour implanter ses cités ouvrières, elle privilégie principalement des régions agricoles où les terrains sont peu chers, la main-d’œuvre abondante, disposant d’importante ressources en eau et proche de voies de communication vers les centres urbains et industriels.

Presque autarciques, ces villes doivent permettre aux salariés de travailler, vivre et se former sur place.

Usine de Batawa au Canada, un air de famille avec Bataville… Carte postale de l’entreprise Bata CC BY-SA 2.0

Visuellement, des spécificités architecturales donnent aux usines Bata, quel que soit le pays, une apparence similaire. Les bâtiments de production, les bureaux et les édifices municipaux sont construits autour de modules standards de 6,15 mètres sur 6,15mètres faits d’une ossature en béton armé dont les parois sont fermées de briques et de fenêtres. Pour simplifier et optimiser la construction, les maisons et appartements ont tous un toit plat qui leur donne l’apparence de cubes ou parallélépipèdes semblables aux usines qu’ils côtoient.

Maison de fonctionnaire à Bataville en 2016. Photo de Havang CC0 1.0
Maisons d’ouvriers à Bataville en 2016. Photo de Havang CC0 1.0

Le second conflit mondial va mettre un terme au développement des cités ouvrières Bata. Victime de nationalisations dans les différents pays communistes du Bloc de l’Est, l’entreprise doit alors se réinventer.

Presque 80 ans plus tard, les régimes communistes se sont effondrés en Europe, les accords commerciaux et la mondialisation ont levé certaines barrière douanières.

Les cités ouvrières de Bata ont progressivement perdu leur fonction de production, ont été vendues mais conservent toujours leur nom.

Parfois protégées et même étudiées pour leur intérêt historique, elles témoignent aujourd’hui d’un courant architectural fonctionnaliste et d’un paternalisme dirigiste propres aux années 1930.

L’inventeur du hamburger…

Les vacances scolaires sont toujours l’occasion de passer plus de temps avec ses enfants… et de céder à la facilité d’un déjeuner au fast-food. Profitant d’un tel moment, mon fils de 10 ans m’a interrogé -avec la curiosité propre à son âge- sur ce qu’il était en train de manger.
– C’est McDonald’s qui a inventé le Hamburger ?
Difficile pour un papa, historien d’entreprise de surcroît, de se soustraire à la question. Pour lui ainsi que pour les parents qui inévitablement se trouveront un jour dans la même situation, voici quelques éléments de réponse.

Avec son seul nom il semble aisé de retracer la généalogie du Hamburger. Dans le dernier tiers du XIXe siècle on trouve sur les menus new-yorkais un « Hamburg steak » désignant un plat de viande hachée probablement importé par les immigrants allemands. Mais le passage de ce plat au sandwich demeure controversé. L’invention a été attribuée à de nombreux Américains sans qu’aucun argument décisif ne permette de trancher à ce jour. Une chose semble toutefois acquise, des « hamburger steak sandwiches » sont vendus en différents endroits des États-Unis dès la fin du XIXe siècle.

Un restaurant MacDonald’s typique (photo de C. Faure)

La première chaîne américaine de fast-food consacrée aux hamburgers naît quelques décennies plus tard. En 1921, deux associés fondent à Wichita, dans le Kansas, un restaurant nommé White Castle. Ils jettent les bases de cette industrie pour le siècle à venir. Tout d’abord en proposant un menu limité avec des produits à bas prix servis très rapidement. Puis, en se développant, ils se concentrent sur deux axes : la standardisation et le contrôle de certains approvisionnements. De la préparation du hamburger jusqu’à l’apparence des restaurants, tout est uniformisé. Pour s’en assurer, White Castle cuit son pain, transforme sa viande, produit les coiffes en papier des uniformes du personnel et va même un temps jusqu’à créer une filiale chargée de produire en série les panneaux de tôle émaillée destinés à décorer les restaurants de la chaîne.

Si White Castle existe toujours aujourd’hui et est implantée dans plusieurs états américains, elle semble toutefois ne pas avoir eu pour dessein de devenir une entreprise internationale comme la célèbre marque au M jaune.

Quand les frères Richard et Maurice McDonald ouvrent le 15 mai 1940 leur restaurant à San Bernardino en Califonie, plusieurs chaînes de restaurants consacrées aux hamburgers les ont précédés.

Ce n’est donc pas la date qui fait de McDonald’s un pionnier du fast-food mais le perfectionnement de la formule de White Castle. En 1948, les deux frères décident de rationaliser leur commerce en concentrant leur offre sur les produits les plus vendus, les hamburgers. Tout est alors sujet à optimisation : les coûts de production, les tarifs, la rapidité de service et même le temps passé par les clients dans le restaurant. Rapidement, le succès est au rendez-vous et des franchises s’ouvrent en 1953. L’année suivante, Ray Kroc, fournisseur des frères McDonald en machines à milkshakes, convaincu que la franchise peut connaître un succès national obtient l’accord d’ouvrir des restaurants en dehors de la Californie. A cette excellente intuition s’ajoute une idée de génie de Harry J. Sonneborn : l’achat du terrain et des bâtiments des restaurants par leur société, Franchise Realty Corp. Les futurs franchisés peuvent alors se lancer avec des conditions avantageuses en échange de leur engagement financier envers cette dernière.

Forte de cette nouvelle méthode, la franchise se développe dans tout le pays et, en 1961, Ray Kroc, toujours plus optimiste que les frères McDonald, leur rachète leurs droits.

L’aventure qui fera de McDonald’s une enseigne mondialement connue est désormais lancée.