Alors que les transports aériens ont été durement affectés par la pandémie et les différents confinements aux quatre coins du monde, imagine-t-on aujourd’hui des avionneurs comme Boeing et Airbus vendre des trottinettes électriques ou autres voiturettes pour faire face aux baisses de commandes ?
Au sortir de la seconde guerre mondiale, c’est pourtant cette versatilité et la volonté de maintenir à tout prix un appareil de production qui a permis à certaines entreprises de survivre.
1945. Jadis à la pointe de la technologie de leur temps, les entreprises ayant produit des avions de combat pour les puissances de l’Axe -parfois avec l’appui d’une main d’œuvre concentrationnaire- se voient interdire de poursuivre leurs activités aéronautiques. Le contexte économique, entre destructions, confiscations et pénuries ne semble de toute façon guère propice à ces grandes entreprises.
Mais, après plusieurs années de conflit, la nécessaire reconstruction impulse partout un regain de dynamisme. S’il n’est plus question de commandes d’État, les individus ont des besoins et des attentes qu’il faut combler malgré tout.
Pour survivre, des géants de l’aviation ne vont pas hésiter à se reconvertir en produisant de beaucoup plus modestes engins.
En Italie, la société Piaggio est dès l’avant-guerre un groupe prospère qui intervient dans les domaines ferroviaires, aéronautiques et plus largement du transport. Sans attendre la fin du conflit et malgré le bombardement de ses usines, Enrico Piaggio, l’un des deux fils du fondateur, lance le projet d’un deux roues motorisé bon marché. En 1946, le scooter Vespa est mis sur le marché et connaît immédiatement le succès tant en Italie qu’à l’international. L’offre répond parfaitement aux demandes du moment d’un véhicule abordable. Suivront de nombreuses versions et de non moins célèbres triporteurs. Parvenant à relancer sa production aéronautique dès 1948, Piaggio maintient en parallèle ses deux activités jusqu’en 1964 où l’entreprise est scindée en deux sociétés distinctes dédiées respectivement à l’aviation et aux véhicules terrestres légers.
Au Japon, l’occupation alliée se double d’une volonté de démanteler les grands groupes industriels, les Zaibatsus, accusés d’avoir soutenu et nourri le militarisme nippon. Fuji Sangyo Co., née de l’avionneur Nakajima sort en 1946 -quelques mois avant Piaggio- un scooter, le Rabbit. Plus simple que son concurrent italien, il s’inspire largement des modèles d’avant-guerre et plus particulièrement du Streamliner de 1938 fabriqué par l’entreprise américaine Powell.
La même année, Mitsubishi, à l’instar de son ancien concurrent, met sur le marché son propre scooter, le Silver Pigeon. Le mimétisme va jusqu’à copier un autre modèle américain d’avant guerre, le Salsbury Motor Glide.
La rumeur veut que Vespa et Rabbit partagent des pièces détachées, notamment les roues, avec les avions militaires qui les ont précédés sur les chaînes d’assemblage. Difficile de l’affirmer avec certitude tant acheteurs comme constructeurs avaient intérêt à laisser se développer ce mythe valorisant pour leurs engins.
Ce que comprend parfaitement l’Allemand Willy Messerschmitt quelques années plus tard.
Pour faire survivre son entreprise, le constructeur du premier avion de chasse à réaction en service actif -le Me-262- s’est diversifié tout azimut en imaginant des maisons en kit et en produisant des machines à coudre.
Aussi, lorsqu’en 1953 l’ancien ingénieur aéronautique Fritz Fend vient proposer à Willy Messerschmitt un projet de voiture légère trouve-t-il une oreille attentive.
Inventeur d’une voiturette destinée aux invalides de guerre, la Filtz, Fend ambitionne de construire une alternative couverte et bon marché aux scooters : le Kabinenroller, une petite voiture à trois roues. Messerschmitt accepte de produire le KR-175 dans ses usines et fait apposer son nom sur les véhicules. Avec sa forme aérodynamique, ses deux places en tandem et sa bulle en plexiglas qui rappellent un cockpit d’avion, l’engin devient rapidement un succès commercial. Répondant là encore à un besoin criant de motorisation, sous des latitudes moins favorables aux scooters, les différentes versions (KR-175 puis KR-200) sont produites à plus de 30 000 exemplaires. Fort de cette rentable expérience, Messerschmitt va même jusqu’à produire la fameuse Vespa sous licence.
La production de véhicules légers par les anciens avionneurs de l’Axe paraît tenir du tropisme.
En effet, Heinkel, autre constructeur allemand, lance la même année que le Kabinenroller son propre scooter, le Tourist. Puis en 1956, sans doute inspiré par le succès de Messerschmitt, la Heinkel Kabine entre en production…
Enfin, BMW qui avait travaillé en tant que fabricant de moteurs d’avions sur un projet non retenu de turboréacteur pour le Messerschmitt Me-262 connaît après guerre les mêmes difficultés que ses anciens clients. Une partie de ses usines se trouve en secteur soviétique et ses coûteuses berlines ne permettent pas de remplir les caisses. Pour générer rapidement de la trésorerie, il est décidé d’investir le marché des petites voitures et de produire sous licence l’Isetta de l’italien ISO Rivolta en y apportant quelques améliorations. La décision s’avère payante puisque de 1955 à 1962, BMW parvient à vendre plus de 160 000 exemplaires de ce modèle populaire bien éloigné de ses traditionnelles productions haut de gamme.
Comme beaucoup de ses concurrentes la petite Isetta doit sa sortie du catalogue à la disparition progressive des pénuries et au retour de la prospérité. Dotée d’un meilleur pouvoir d’achat, la clientèle aspire désormais à des véhicules plus confortables et statutaires.
Reconnaissante de ce succès qui lui a peut-être évité le naufrage, la marque BMW va aujourd’hui jusqu’à consacrer à l’Isetta une page complète sur son son site internet officiel.
Avec le contexte politique qui voit l’émergence de la Guerre Froide, les réticences des Alliées occidentaux vont rapidement s’estomper pour permettre un réarmement rapide face au nouvel ennemi soviétique. C’est ainsi qu’avant la fin des années 1950 les interdictions de produire des avions sont progressivement levées et les procédures de démantèlement s’interrompent. Certaines entreprises retournent donc à l’aéronautique (Messerschmitt et Heinkel) tandis que d’autres l’abandonnent (BMW) ou continuent de creuser le sillon ainsi ouvert (Mitsubishi et Fuji qui va enfanter la marque Subaru). Toutes auront en commun de s’être adaptées en un temps record à des conditions particulièrement difficiles avec des solutions audacieuses.
Post-scriptum
Réponse de l’ingénierie de pointe de l’époque à des contraintes légales, aux destructions du tissus industriel, aux pénuries de matières premières et de carburant, ces véhicules aussi innovants qu’attachants ont laissé une trace durable dans l’imaginaire collectif. Pourraient-ils inspirer l’avenir de notre mobilité face aux défis économiques et écologiques de demain ?