Entreprendre face à l’inconnu

Alors que s’approche une nouvelle année que certains annoncent pleine d’incertitudes et de menaces, je voulais partager avec vous une citation d’Igor Sikorsky, pionnier de l’aviation. Une source d’inspiration pour tous les entrepreneurs sur la nécessité de l’audace et d’un soupçon de folie.

« Tout au long de 1910 et 1911, j’ai suivi la route intensément intéressante et romantique des premiers pionniers qui construisaient leurs machines sans savoir comment les construire, puis grimpaient dans les cockpits pour essayer de piloter leurs avions sans savoir voler ! »

Igor Sikorsky
photo d’Igor Sikorsky prise par Karl Bulla en 1914

Que vos élans vous portent loin, bien au-delà de 2023.

Des entreprises inexistantes mais mondialement connues

Si les marques accompagnent notre quotidien, depuis le dentifrice matinal jusqu’à l’écran sur lequel nous nous divertissons, elles ont également conquis notre imaginaire. Souvent pour notre plus grand plaisir. Arrêtons nous sur certaines d’entre elles qui se sont imposées dans le monde entier sans jamais rien vendre.

C’est dès l’enfance que nous avons découvert certaines de ces marques. Si, comme moi, vous avez appris à lire avec les bandes dessinées de Tintin, alors, vous connaissez très certainement la célèbre Boucherie Sanzot et son gag téléphonique récurrent.

A l’époque ou la télévision ne comptait que trois chaînes, les dessins-animés de la Warner-Bros ont longtemps hanté l’antenne. Apprenant ainsi aux jeunes français que l’ACME Corporation était en mesure de produire à peu près tout et surtout n’importe quoi, des enclumes aux explosifs.

Une fois l’écran éteint, à l’heure de jouer aux petites voitures, bien des enfants ont piloté des Vaillante ou des bolides aux couleurs de Dinoco.

Une image tirée du court métrage animé The Arctic Giant de 1942

En grandissant, les comics américains que nous lisions ont mis en avant de célèbres journaux dans lesquels travaillent de modestes reporters : le Daily Planet et le Daily Bugle. Mais aussi des entreprises familiales telles que le conglomérat de Wayne Entreprises, la Lexcorp ou Stark Industries. Vous aurez reconnu respectivement des éléments des univers de Superman, Spiderman, Batman, à nouveau Superman et enfin Ironman.

Ceux qui se sont tournés vers le pays du manga rêvent encore sans doute aujourd’hui des produits miniaturisés de la Capsule Corp découverts dans Dragon Ball.

Devenu adultes, les entreprises de nos livres, films ou jeux sont fréquemment des caricatures volontairement outrancières qui visent à nous mettre en garde contre les excès de notre société. Parfois de manière amusé avec la chaîne Tricatel du film l’Aile ou la Cuisse, la COGIP de Message à caractère informatif ou l’omniprésente et omnipotente Buy’n Large du film d’animation Wall-E qui laisse derrière elle une planète Terre dévastée ou seuls subsistent ses productions et ses publicités.

La charge est parfois plus dramatique en interrogeant directement notre morale. Avec le terrible dénouement de Soleil Vert par exemple. Dans Blade Runner, La Tyrell Corporation confronte les limites du progrès technique à l’éthique dans une rencontre mémorable entre le patron démiurge et sa créature.

Maquette de l’immeuble de la Tyrell Corporation utilisée pour le film Blade Runner. Photo Olof Werngren CC BY-SA 2.0

Mais c’est parfois l’entreprise même qui est pointée du doigt comme lieu de la corruption. L’Umbrella Corporation des jeux vidéos et des films manipule dangereusement des virus. Los Pollos Hermanos de la série Breaking Bad élève le concept de blanchiment à un niveau inégalé.

En tant qu’Historien, j’ai une tendresse particulière pour deux marques qui s’inspirent ouvertement des excès passés : Nuka-Cola du jeu Fallout et la Société Cairote d’Élevage de Poulet, la SCEP d’OSS 117.

Et vous, quels sont vos entreprises fictives favorites ?

Une spécificité canadienne

Si vous n’êtes pas canadien mais bricoleur, les embouts de tournevis carrés dont vous ne vous servez presque jamais demeurent probablement une énigme. Considérées révolutionnaires à leur création, ces vis ont failli devenir un incontournable de l’industrie mondiale. Histoire d’un rendez-vous manqué.

Au premier plan des embouts de tournevis cruciformes Phillips et carrés Robertson. Photo G. Brunet

Suite à une blessure à la main survenue lors de la démonstration d’un tournevis plat à ressort, Peter Lymburner Robertson invente en 1906 une vis à tête carrée. En 1907, il fonde avec l’aide d’investisseurs la Robertson Manufacturing Company Ltd. Le choix du carré n’était pas une première dans la visserie. Mais en 1908, Robertson met au point un procédé de formage à froid permettant de produire ses vis rapidement et à moindre coût. La même année, la première usine est construite à Milton dans l’Ontario grâce à un prêt municipal de 10 000 $ et une exemption de taxes locales.

L’entreprise se lance sur le marché. Ses produits séduisent les fabricants locaux de meubles et de bateaux. Détentrice d’un brevet international, la société cherche alors à sortir de ses frontières. Tout d’abord au Royaume Uni, où est fondée en 1913 la Recess Screws Ltd. L’objectif est de produire en Angleterre pour approvisionner le marché local ainsi que l’Europe continentale. La première guerre mondiale va malheureusement mettre un terme abrupt à ce projet. L’usine est réquisitionnée au profit de l’industrie d’armement. La filiale ne se relèvera jamais complètement du conflit, jusqu’à sa vente en 1926.

Publicité de 1909 pour la vis Robertson. Source : Bibliothèque et Archives Canada.

Sur son marché local, l’entreprise connaît plus de succès.

Depuis 1913, la compagnie américaine Fisher Body Company possède une usine à Walkerville dans l’Ontario. En 1920, elle y assemble pour le compte de Ford les armatures en bois des carrosseries de « Model T ». Dans cette tâche, elle fait un large usage des vis carrées, jusqu’à plus de 700 par voiture. La compagnie Fisher Body est un client important pour Robertson. Aussi, lorsque Ford lance sa nouvelle « Model A » à partir de 1928, l’entreprise propose-t-elle de nouvelles vis adaptées aux carrosseries métalliques.

Plus facile à mettre en œuvre d’une seule main, limitant les risques de ripage et adaptées aux visseuses mécaniques, les vis Robertson semblent destinées à accompagner l’industrialisation croissante du XXe siècle. La rencontre entre Henry Ford et Peter Robertson va en décider autrement.

Informé que l’utilisation de ces vis carrées sur les lignes d’assemblage canadiennes de Windsor (Ontario) permettait de réaliser des économies, Henry Ford décide d’en généraliser l’emploi. Il propose alors à Robertson un accord de licence exclusif pour produire lesdites vis. Ce dernier lui oppose alors un ferme refus perdant ainsi l’opportunité de s’imposer sur le plus grand marché de l’époque.

Avec une approche diamétralement opposée -il accorde dès 1936 une licence à General Motors-, Henry F. Phillips va réussir à imposer au monde la vis cruciforme qui porte son nom.

Hotchkiss, celui qui fonda la plus américaine des marques françaises

Nul n’est prophète en son pays, pas même un producteur d’armes aux États-Unis. Enrichi par la guerre de Sécession, c’est en France que Hotchkiss deviendra une marque internationale.

Benjamin Berkeley Hotchkiss naît en 1826 à Watertown dans le Connecticut. Il grandit à Sharon où son père Asahel dirige et possède un atelier produisant différents outils et objets de quincaillerie. Grâce à l’inventivité familiale et plus particulièrement celle de son frère aîné Andrew, handicapé de naissance, l’entreprise se développe en déposant de nombreux brevets. Elle s’investit également dans la production d’armes et de munitions.

Andrew décède en 1858. Dès 1863, Benjamin s’associe à un autre de ses frères, Charles Albert, pour fonder « Hotchkiss’ Sons » en rachetant les parts aux différents membres de la famille, dont leur père.

Benjamin Berkeley Hotchkiss

La Guerre de Sécession qui déchire alors les États-Unis de 1861 à 1865 va accélérer la croissance de la jeune entreprise. Ayant fourni fusées d’artillerie et munitions aux troupes nordistes de l’Union, elle peut ouvrir une nouvelle usine à Bridgeport, toujours dans le Connecticut.

Avec la chute des Confédérés, les commandes gouvernementales et l’intérêt de Washington pour de nouvelles armes s’amenuisent. Benjamin Hotchkiss décide alors de se tourner vers l’Europe où les tensions internationales s’accroissent.

En 1867, il gagne la France. Il est accompagné de sa maîtresse qu’il épousera frauduleusement, devenant ainsi bigame. Lors de la guerre de 1870, à la demande du Gouvernement de la Défense nationale, il créé une fabrique de cartouches métalliques à Viviez dans l’Aveyron.

Après la guerre franco-prussienne, Hotchkiss se rapproche de Paris, d’abord quai de Jemappes puis pour des raisons d’espace, à Saint-Denis en 1875. Il met au point de nombreuses armes innovantes dont un canon revolver à tir rapide. Il multiplie alors les contrats. Avec l’armée des États-Unis, à laquelle il vend des canons. A l’armurier américain Winchester auquel il cède en 1879 son brevet pour un fusil à répétition. Mais aussi avec la Russie et bien évidemment la France. Animé par un esprit de revanche, le pays réarme massivement et les canons Hotchkiss se retrouvent tant sur les navires que dans la ligne de fortifications du système Séré de Rivières.

Devenu un des premiers fabricant d’armes au monde, Benjamin Hotchkiss s’éteint brutalement le 14 février 1885 à Paris à l’âge de 59 ans.

Logo des automobiles Hotchkiss, ici sur une 686 GS. Photo de Pantoine CC BY 2.5

Son entreprise d’armement lui survit. La mitrailleuse mise au point après sa mort -et à laquelle on donne son nom en hommage- équipe lors de la première guerre mondiale l’armée française ainsi que le corps expéditionnaire américain. En 1903 la société se diversifie en donnant naissance à l’une marque automobile dont l’emblème est directement inspiré de celui de l’United States Army Ordnance Corps, rappelant les origines américaines et armurières de la marque.

Le Bureau du Patron réunit des articles brefs consacrés à l’histoire d’entrepreneurs atypiques aux fortunes diverses

L’armateur qui n’oublia jamais son archipel

S’élevant dans la pyramide sociale britannique jusqu’à devenir un des plus puissants armateurs de son époque, ce fondateur de P&O était aussi un philanthrope.

Arthur Anderson naît en 1792 à proximité de Lerwick, principale bourgade de l’archipel des Shetland. Fils aîné du responsable d’une exploitation de pêche, il bénéficie d’un peu d’éducation mais doit travailler le poisson dès l’âge de 12 ans. Remarquant son intelligence, son employeur lui confie alors des tâches de bureau.

En 1808, il intègre la Royal Navy comme aspirant. Trop peu fortuné pour faire avancer sa carrière, il se résout à devenir secrétaire du capitaine du HMS Bermuda. Après avoir participé aux guerres napoléoniennes sur mer, il est démobilisé en 1815.

Arthur Anderson en 1850, tableau de Thomas Francis Dicksee

Il gagne Londres et devient secrétaire dans la compagnie d’assurance et d’expédition « Willcox & Carreno ». Dès 1822, Brodie Willcox lui propose de prendre la place vacante de son associé. Les deux hommes se lancent alors dans le commerce maritime avec le Portugal et l’Espagne. Profitant des guerres civiles qui s’y déroulent, ils transportent hommes et armes vers la péninsule.

En 1834, après les troubles, ils s’associent à un propriétaire de Steamers (bateaux à vapeur), l’Irlandais Richard Bourne, pour développer les liaisons vers la péninsule ibérique. Avec la nouvelle motorisation à vapeur ils espèrent pouvoir s’imposer. En 1837, grâce à la promesse d’une liaison hebdomadaire et plus rapide que leurs concurrents à voile, ils obtiennent un premier contrat avec l’amirauté britannique pour leur « Peninsular Steam Navigation Company ». En 1840, un nouveau contrat pour l’Égypte et la fusion avec un concurrent donne naissance à la « Peninsular and Oriental Steam Navigation Company ». Celle qu’on surnomme désormais la P&O se développe alors rapidement grâce à ses liaisons vers les Indes, la Chine et l’Australie.

Arthur Anderson devient un des trois directeurs de la compagnie et à la mort de Willcox, en 1862, lui succède comme président. Visionnaire, il défend auprès des autorités britanniques, sans succès, l’idée d’un canal reliant la Méditerranée à la Mer Rouge pour permettre d’accélérer encore les liaisons maritimes.

Devenu un magnat , il n’oublie cependant pas ses racines shetlandaises et modestes. Philanthrope, en 1837 il tente de briser le monopole local des lairds sur la pêche en créant une compagnie. La même année, il présente à la reine Victoria la dentelle des Shetland, initiant une mode qui permet à la dentellerie locale de trouver un nouveau débouché. En 1839, il finance le premier bateau à vapeur acheminant le courrier dans l’archipel. De 1847 à 1852, il est député libéral des Orcades et des Shetland. En 1862, il construit une école à Lerwick et deux ans plus tard un foyer pour les veuves des pêcheurs.

Travaillant sans relâche malgré sa santé déclinante, il s’éteint en 1868 à l’âge de 76 ans.

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L’autre berceau germanique de l’industrie

A la mort de Dietrich Mateschitz le 22 octobre 2022, beaucoup ont découvert avec surprise l’origine autrichienne de Red Bull. Dans l’inconscient collectif, l’Autriche est plus souvent associée aux couronnes impériales qu’à l’industrie mondiale. Le pays des Habsbourg, à l’instar de son voisin allemand, compte pourtant de très anciennes entreprises.

Ce n’est probablement pas par hasard que la société Swarovski est née dans un ancien empire.

Daniel Swarovski en 1910

Dès 1895, Daniel Swarovski fonde avec deux associés une entreprise à Wattens dans le Tyrol autrichien. Celle-ci exploite la machine électrique brevetée par Daniel et permettant la taille précise des cristaux de verre. L’utilisation de ces derniers dans la haute couture et notamment des célèbres strass va permettre le développement de l’entreprise jusqu’au rang international qui est le sien aujourd’hui.

Mais dès 1919, Swarovski se diversifie en fondant Tyrolit, une société dédiée à la commercialisation de disques à meuler nés du savoir-faire de la maison-mère dans le domaine.

Et en 1949, fort de l’expérience acquise dans le travail du verre, Wilhelm, fils du fondateur, créé Swarovski Optik. La filiale se spécialise dans les optiques de précision, des jumelles aux télescopes en passant par les lunettes de visée pour le tir.

Le joyau de la couronne industrielle des Habsbourg demeure toutefois sans conteste Steyr. En 1864, Josef Werndl fonde une manufacture d’arme à son nom, Josef und Franz Werndl & Comp., Waffenfabrik und Sägemühle. Dès 1867, le fusil qu’il produit est adopté par l’armée austro-hongroise assurant ainsi sa croissance. A l’aube de la première guerre mondiale l’armée impériale adopte à nouveau un fusil de l’entreprise. De 1895 à 1918, le « Mannlicher » M1895 sera produit à plus de 3 millions d’exemplaires.

Soldats autrichiens du 17e régiment d’infanterie « Ritter von Milde » sur le front de l’Isonzo entre 1916 et 1917. Il s sont armés de Steyr-Mannlicher M1895.

En 1919, face à l’interdiction de produire des armes imposée aux vaincus, la firme doit se réinventer. Elle se lance alors dans la production de cycles, d’automobiles et de camions. Elle prend le nom de Steyr en 1926. En 1934, elle s’associe à son concurrent Austro-Daimler-Puch.

Avec l’Anschluss et la seconde guerre mondiale, la production d’armes reprend pour connaître la même sanction en 1945. Après-guerre Steyr-Puch retourne aux camions, aux bus et aux tracteurs. Elle entame également une collaboration avec Fiat pour produire des voitures. Depuis 1970, l’entreprise développe des compétences spécifiques dans la production de véhicules tout-terrain pour l’armée autrichienne ou en coopération avec des constructeurs automobiles étrangers (Fiat Panda 4×4 et Mercedes classe G entre autres).

Dans les années 1950, sous le nom de Puch, la société vend des vélos, mobylettes et motos jusqu’aux États-Unis. A la même période, en pleine guerre froide, la production d’armes reprend pour équiper l’armée autrichienne renaissante.

A la fin des années 1980, le groupe industriel commence à se scinder en vendant ses différentes branches. Certaines conservent encore une partie du nom : Steyr Mannlicher (armes) , Magna Steyr (automobiles).

La veuve qui enfanta un fleuron industriel

De la Révolution à la Révolution Industrielle, la veuve de Dietrich va traverser les tourments de son époque avec pour seule obsession de léguer à ses enfants une entreprise prospère.

Amélie de Berckheim naît en 1776 à Ribeauvillé en Alsace dans une famille noble. Elle reçoit une excellente éducation et anime même avec ses sœurs un cercle littéraire.

En 1797, elle épouse Jean-Albert-Frédéric de Dietrich, surnommé Fritz. La famille de Dietrich a été durement éprouvée par la Révolution. Propriétaire de terres, de hauts-fourneaux et de forges, elle a vu une partie de ses biens être placée sous séquestre. Le père de Fritz, victime de la Terreur, a été guillotiné en 1793.

Fritz ayant obtenu la levée des séquestres, il s’attelle à la relance des ses usines. Pour les sauver, il vend des biens familiaux et accepte en 1800 de transformer l’entreprise familiale en société par action pour 15 ans : la « Société des Forges du Bas-Rhin ». En 1801, grâce à Bonaparte, il devient inspecteur des Forêts, Îles et Rives du Rhin, procurant ainsi des revenus complémentaires au ménage. Il meurt en 1806, laissant Amélie veuve et en charge de leurs 4 enfants.

Amélie de Berckheim. Photo : Henri Mellon/Association De Dietrich

Décidée à maintenir la maison de Dietrich et ses forges pour l’avenir de ses enfants, Amélie en prend la direction. Elle aliène encore quelques biens patrimoniaux pour apaiser les créanciers et parvient à redresser l’entreprise qui retrouve son niveau de production antérieur à la Révolution et emploie 1000 personnes.

Arrivée à l’échéance de la société par action en 1815, Amélie procède aux différents remboursements des mises de fonds et distribue les intérêts statutaires ainsi que des dividendes. Elle créé ensuite avec certains actionnaires précédents la « Nouvelle Société des Forges du Bas-Rhin » pour 12 ans.

Elle porte un soin particulier à l’éducation de ses deux fils. Pour les préparer à diriger et leur donner les compétences techniques et scientifiques nécessaires, elle les pousse à suivre des études supérieures à l’École des Mines de Saint-Étienne mais également à l’Université de Heidelberg.

En 1827, à l’issue de la nouvelle échéance, elle rembourse à nouveau ses actionnaires et fonde son ultime société ne comptant d’autres actionnaires qu’elle et ses enfants : « Veuve de Dietrich et Fils ». Excessivement vigilante sur l’équilibre financier, Amélie développe des outils comptables particulièrement précis, lui permettant de contrôler les coûts et la rentabilité de chaque produit.

Dirigée avec ses enfants, la société se développe en accompagnant la Révolution Industrielle naissante. Progressivement, elle délaisse la sidérurgie et se diversifie en se lançant dans la production de matériels ferroviaires et mécaniques.

Amélie qui a gagné le surnom de « Dame de Fer » meurt à Strasbourg en 1855 à 79 ans en léguant à ses enfants les bases solides d’un futur fleuron industriel alsacien.

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Une image de marque bancale

(une approche amusée de l’histoire d’entreprise)

Audaciter calomniare semper aliquid haeret. « Calomniez audacieusement, il en restera toujours quelque chose ». Ce proverbe latin semble particulièrement convenir à la marque Reliant, dont l’image de marque est durablement écornée. Même au delà des îles britanniques ou du cercle restreint des amateurs de curiosités automobiles. Et pourtant…

Reliant Regal Van. Photo de Mick. Licence CC BY 2.0

Une célèbre inconnue

Constructeur britannique établi en 1935, Reliant s’est progressivement spécialisé dans la construction de petits véhicules en fibre de verre à trois roues. Une niche fiscale et légale, plus qu’un réel engouement pour cette curieuse architecture, explique la persistance d’un marché pour ces véhicules. A l’instar des voitures sans permis en France.

Comme les voiturettes dans l’Hexagone, les productions de Reliant ont rapidement souffert d’une image de véhicules pour personnes âgées ou détenteurs d’un permis de seconde zone. A cela s’ajoutaient quelques doutes sur sur la stabilité en courbe de ces curieux engins.

Ceux pour qui le nom Reliant n’évoque toujours rien connaissent probablement malgré tout ses productions.

Dans son show télévisé, Mr Bean, de 1990 à 1995, Rowan Atkinson a fait d’une Reliant un personnage récurrent. Au volant de sa Mini, le terrible Bean affronte à de multiples reprises une Reliant Regal Supervan bleue finissant presque invariablement sur le côté.

La première rencontre entre Mr Bean et Reliant
A la fin du sketch, le running gag Mini vs Reliant Regal

Les plus jeunes et les amateurs d’automobiles ont découvert Reliant et sa triste réputation avec l’émission de divertissement Top Gear. Dans un épisode de 2010 devenu culte, l’animateur Jeremy Clarkson procède à l’essai d’une Reliant Robin dans les rues de Sheffield. Sans surprise, la voiture se retourne tout au long de l’essai.

Jeremy Clarkson das ses oeuvres

Pourquoi laver l’honneur de Reliant ?

Contrairement aux propriétaires de ces trois-roues, la marque Reliant qui a cessé de produire des véhicules en 2001 ne devrait guère souffrir de ces sarcasmes.

Oui mais voilà, Reliant n’est pas morte. Elle est désormais spécialisée dans la vente de pièces détachées pour ses anciennes productions.

Or les prestigieuses et défuntes ou mourantes marques d’Outre-Manche se sont signalées ces dernières années par une formidable capacité à renaître d’entre les morts : MG, Mini, Norton et Triumph par exemple.

Si l’envie venait à des investisseurs de relancer la marque, comment un historien d’entreprise pourrait-il alors contribuer à restaurer l’image de la très bancale Reliant ?

Tout d’abord en rappelant que les mythiques cascades de Clarkson sont le fruit d’un sabotage volontaire. L’équipe de production, pour s’assurer de spectaculaires pertes d’adhérence avait en effet, selon les propres dires du pilote en 2016, modifié le différentiel.

Cela ne suffira peut-être pas à rassurer d’éventuels clients sur la stabilité de cette solution technique…

Nous rappellerons alors que Reliant a également construit des années 1960 au milieu des années 1990 de petit coupés et cabriolets artisanaux dans la plus pure tradition britannique : la Sabre et les différents avatars de la Scimitar. Fibre de verres et moteur de grande série, comme Lotus. Entreprise fondée avant la guerre comme Morgan.

La Princesse Anne et une de ses 8 Scimitars

De plus, dans une monarchie millénaire, il n’est sans doute pas inutile de mentionner que la princesse Anne appréciait particulièrement la Scimitar. A la GTE offerte par ses royaux parents pour ses 20 ans ont succédé pas moins de sept autres exemplaires.

La voiture d’une lointaine galaxie

Enfin, si toutefois Reliant s’obstinait à vouloir renouer avec ses three-wheelers, alors devrait être mis en avant un ultime argument imparable. Une bonne partie des enfants de la galaxie a un jour rêvé de piloter une Reliant… sans le savoir.

Ogle Design a dessiné plusieurs modèles pour Reliant. La fameuse Scimitar, la moins glorieuse Robin et l’étrange Bond Bug. Cette dernière était une tentative de toucher un public plus jeune avec un dessin plus futuriste et sportif (pour l’époque).

La Bond Bug. Photo de Mick CC BY 2.0

Au début des années 1970, Ogle Design est contactée par Lucasfilm pour construire le Landspeeder de Luke Skywalker dans le premier volet (mais l’épisode IV) de Star Wars. L’équipe va justement choisir le châssis à trois roues de la Bond Bug.

Steve Sansweet et un landspeeder à la Star Wars Celebration V. Photo The Conmunity CC BY 2.0

La Force des Jedi permettrait elle à ces trois roues de ne plus jamais se renverser ? Et à la réputation de Reliant de se relever ?

Pionnier de l’aviation sur deux continents.

Pionnier de l’aviation russe et même mondiale avant la Révolution d’Octobre, Igor Sikorsky s’exile aux États-Unis. C’est sur le Nouveau Continent qu’il va une nouvelle fois renouveler l’aéronautique en contribuant à la naissance de l’hélicoptère moderne.

Igor Ivanovitch Sikorsky naît à Kiev en 1889. Fils d’un psychiatre renommé, il se tourne pourtant vers la technique. Dans la première décennie du XXe siècle, il se passionne pour l’aéronautique alors balbutiante. Ingénieur curieux, il rencontre à Paris des pionniers français avant de tenter, sans succès, de mettre au point ses premiers hélicoptères. Si les appareils décollent, ils sont incapables de soulever plus que leur propre poids et a fortiori un pilote.

Igor Sikorsky devant le premier « Ilia Mouromets », hiver 1913/14

Il se concentre alors sur la conception d’avion, concevant, construisant et testant lui-même ses prototypes. En 1913, alors qu’il travaille à Saint-Pétersbourg pour les ateliers aéronautiques de l’Usine de Wagons Russo-Balte, il construit le S-22 Ilia Mouromets, premier avion de ligne au monde capable d’embarquer des passagers. Particulièrement bien conçu, l’appareil devient même avec la guerre le premier bombardier produit en série.

Lorsque les bolchéviques prennent le pouvoir, celui qui a été décoré par le Tsar craint pour sa vie. Il quitte alors la Russie en 1918 pour se mettre un temps au service du gouvernement français avant de s’exiler aux États-Unis en 1919.

D’abord professeur pour survivre, il fonde en 1923 la Sikorsky Aero Engineering Corporation. Installée dans la ferme d’un ami Russe Blanc, l’entreprise ne doit alors sa survie qu’à l’intervention inattendue du compositeur Serge Rachmaninoff qui décide d’y investir 5000 $. Reconnaissant, Igor lui propose de devenir vice-président.

Ce sont les hydravions qui vont permettre à Sikorsky d’accéder à une nouvelle reconnaissance sur le continent américain. En 1934, la compagnie aérienne Pan American Airways recherche un hydravion capable de voler 4000 km sans escale. Le S-42 remporte l’appel d’offre et gagne le surnom de Pan Am Clipper. Il est alors le premier hydravion véritablement capable de traverser les océans.

En 1939, porté par les progrès techniques, Igor Sikorsky retourne à sa passion première, les hélicoptères, et révolutionne la conception des appareils à voilures tournantes. Avec le Vought-Sikorsky VS-300, il expérimente un rotor de queue pour contrer les problèmes de couple généré par le rotor principal. Simple et efficace, cette architecture va être adoptée dans le monde entier. Le premier hélicoptère à être produit massivement en série est donc sans surprise un Sikorsky, le R-4. L’entreprise se consacre alors désormais principalement à ces machines.

Son rêve enfin accompli, Igor Sikorsky prend sa retraite en 1957 mais demeure consultant. Il décède en 1972. Son entreprise est encore aujourd’hui une référence mondiale.

Le Bureau du Patron réunit des articles brefs consacrés à l’histoire d’entrepreneurs atypiques aux fortunes diverses

Un petit problème de logo

Au début des années 1970, alors qu’elle se prépare à lancer la révolutionnaire R5, la Régie Renault décide de renouveler également son image avec un logo inédit. Elle sera malheureusement coupée dans son élan par la justice. A une échelle réduite, un autre constructeur français d’automobiles indirectement mais fortement lié à Renault a échappé aux même poursuites…

A l’été 1971, Renault met sur le marché deux coupés sportifs, la R15 et la R17. Ceux-ci inaugurent un nouveau logo dessiné par Michel Boué qui est également auteur de la R5. La petite citadine dont la Régie attend beaucoup sort en janvier 1972 attirant inévitablement l’attention des médias.

Renault R17. Photo G.Brunet

C’est ainsi que l’entreprise Kent, fabriquant de produits chimiques dédiés à l’entretien et la réparation des véhicules, découvre un logo qu’elle juge beaucoup trop proche du sien. Renault est attaquée en justice et perd. Un nouveau logo est alors dessiné par « Yvaral » le fils de Victor Vasarely. Pour les véhicules déjà vendus, une campagne de rappel est organisée pour remplacer le logo désormais interdit.

Certains propriétaires ignoreront le courrier et quelques modèles survivront ainsi jusqu’à nos jours en arborant ce rare emblème, ajoutant au fil du temps à leur valeur.

Le logo interdit encore présent sur un modèle photographié en 2022. Photo G.Brunet

Ayant cette histoire en tête, au hasard d’un vide-grenier, j’ai découvert il y a quelques jours un développement inédit de cette étonnante histoire.

La tempête judiciaire qui s’est abattue sur Renault en 1972 a certainement fait trembler un autre constructeur d’automobiles, Majorette.

R17 TS Majorette produite entre 1974 et 1977. Photo G. Brunet

Lorsque commence la production du modèle réduit de la R17 TS en septembre 1973, l’affaire qui oppose Renault à Kent est déjà close. Oui, mais à une époque ou tout est encore conçu et dessiné à la main, sans logiciel de DAO ou PAO, la création d’une miniature peut prendre jusqu’à 18 mois. La base qui a servi d’inspiration aux réducteurs est donc très certainement un des premiers exemplaires avec le logo interdit.

Le logo de la miniature, identique à celui de Renault contesté par Kent. Photo G. Brunet

L’examen attentif d’un modèle non restauré, acquis en vide-grenier, révèle que c’est bien ce logo qui figure les R17 de Majorette. La lecture de la très instructive page de mininches.com sur le sujet nous apprend que si différentes modifications ont été apportées au modèles entre 1973 et 1978, aucune n’a concerné le logo. La mansuétude, l’indifférence ou la presbytie des avocats de Kent aura donc finalement protégé la production de Majorette d’un procès. Il aurait été bien difficile pour la petite marque de se contenter de remplacer les logos sur les milliers de modèles déjà produits…

L’auteur tient à remercier le jeune Pierrig M. grâce à qui cette découverte a été possible.

Pour aller plus loin :