Durant la Guerre Froide, travailler pour la Marine Nationale et un des plus importants groupes industriels de France n’excluait pas quelques cachotteries…
En 1953, La Marine Nationale lançait le chantier d’une nouvelle classe de sous-marin d’attaque avec Le Narval. La construction des moteurs diesel était confiée à la Société des Forges et Ateliers du Creusot (SFAC), filiale de la puissante Schneider et Cie. Les réducteurs étaient sous-traités aux Ateliers et Chantier de Bretagne (ACB) à Nantes.
Chef-Monteur aux ACB, Yvon MOY, mon défunt grand-père, a été envoyé au Creusot en 1953 et 1954. Il devait assister au montage sur le moteur, aux essais et aux réglages du groupe réducteur Vulcan. Très fier de ce chantier encore 40 ans plus tard, il en avait conservé quelques documents : carnets de relevés d’essais et échanges avec la direction des ACB.
C’est en triant ces lettres et télégrammes dont j’ai hérité que j’ai découvert une intéressante pièce. Entre les très officielles lettres dactylographiées donnant des consignes ou rendant compte se trouvait une note griffonnée sur un morceau de feuille.
« 7-10-53
Mon cher Moy,
Il est bien évident que les contrôles que nous vous demandons par ailleurs doivent être effectués avec les plus grandes précautions, de manière à éviter toute question indiscrète des Services de la Surveillance ou de notre client –
Bien cordialement
Rouet »
Les premiers essais au Creusot du réducteur Vulcan avaient commencé le 25 septembre 1953. Dans un brouillon de lettre en date du 5 octobre, mon aïeul semblait s’inquiéter de traces (portage) sur le coussinet inférieur d’un palier. La réponse officielle de la direction le 7 octobre se voulait rassurante. Peut-être s’agissait-il déjà d’un élément de langage à destination de la SFAC.
Mais , il était également demandé de « faire votre possible pour examiner ce coussinet inférieur et nous téléphoner le résultat de vos observations ». Si nous faisons le lien avec la note datée du même jour, il apparaît vraisemblable que ce point particulier inquiétait les ACB et qu’ils craignaient que cela soit découvert tant par la SFAC que par les mystérieux « Services de la Surveillance » (ceux de la Marine ? Du ministère de la Défense nationale et des Forces armées ?).
La poursuite de la campagne d’essais durant l’année 1954 donna satisfaction aux ACB et à la SFAC. Le développement du Narval et du Marsouin se poursuivit jusqu’à leur lancement en 1957. La petite cachotterie initiale aura donc été sans conséquence.
Si les marques accompagnent notre quotidien, depuis le dentifrice matinal jusqu’à l’écran sur lequel nous nous divertissons, elles ont également conquis notre imaginaire. Souvent pour notre plus grand plaisir. Arrêtons nous sur certaines d’entre elles qui se sont imposées dans le monde entier sans jamais rien vendre.
C’est dès l’enfance que nous avons découvert certaines de ces marques. Si, comme moi, vous avez appris à lire avec les bandes dessinées de Tintin, alors, vous connaissez très certainement la célèbre Boucherie Sanzot et son gag téléphonique récurrent.
A l’époque ou la télévision ne comptait que trois chaînes, les dessins-animés de la Warner-Bros ont longtemps hanté l’antenne. Apprenant ainsi aux jeunes français que l’ACME Corporation était en mesure de produire à peu près tout et surtout n’importe quoi, des enclumes aux explosifs.
Une fois l’écran éteint, à l’heure de jouer aux petites voitures, bien des enfants ont piloté des Vaillante ou des bolides aux couleurs de Dinoco.
En grandissant, les comics américains que nous lisions ont mis en avant de célèbres journaux dans lesquels travaillent de modestes reporters : le Daily Planet et le Daily Bugle. Mais aussi des entreprises familiales telles que le conglomérat de Wayne Entreprises, la Lexcorp ou Stark Industries. Vous aurez reconnu respectivement des éléments des univers de Superman, Spiderman, Batman, à nouveau Superman et enfin Ironman.
Ceux qui se sont tournés vers le pays du manga rêvent encore sans doute aujourd’hui des produits miniaturisés de la Capsule Corp découverts dans Dragon Ball.
Devenu adultes, les entreprises de nos livres, films ou jeux sont fréquemment des caricatures volontairement outrancières qui visent à nous mettre en garde contre les excès de notre société. Parfois de manière amusé avec la chaîne Tricatel du film l’Aile ou la Cuisse, la COGIP de Message à caractère informatif ou l’omniprésente et omnipotente Buy’n Large du film d’animation Wall-E qui laisse derrière elle une planète Terre dévastée ou seuls subsistent ses productions et ses publicités.
La charge est parfois plus dramatique en interrogeant directement notre morale. Avec le terrible dénouement de Soleil Vert par exemple. Dans Blade Runner, La Tyrell Corporation confronte les limites du progrès technique à l’éthique dans une rencontre mémorable entre le patron démiurge et sa créature.
Mais c’est parfois l’entreprise même qui est pointée du doigt comme lieu de la corruption. L’Umbrella Corporation des jeux vidéos et des films manipule dangereusement des virus. LosPollos Hermanos de la série Breaking Bad élève le concept de blanchiment à un niveau inégalé.
En tant qu’Historien, j’ai une tendresse particulière pour deux marques qui s’inspirent ouvertement des excès passés : Nuka-Cola du jeu Fallout et la Société Cairote d’Élevage de Poulet, la SCEP d’OSS 117.
Et vous, quels sont vos entreprises fictives favorites ?
Nul n’est prophète en son pays, pas même un producteur d’armes aux États-Unis. Enrichi par la guerre de Sécession, c’est en France que Hotchkiss deviendra une marque internationale.
Benjamin Berkeley Hotchkiss naît en 1826 à Watertown dans le Connecticut. Il grandit à Sharon où son père Asahel dirige et possède un atelier produisant différents outils et objets de quincaillerie. Grâce à l’inventivité familiale et plus particulièrement celle de son frère aîné Andrew, handicapé de naissance, l’entreprise se développe en déposant de nombreux brevets. Elle s’investit également dans la production d’armes et de munitions.
Andrew décède en 1858. Dès 1863, Benjamin s’associe à un autre de ses frères, Charles Albert, pour fonder « Hotchkiss’ Sons » en rachetant les parts aux différents membres de la famille, dont leur père.
La Guerre de Sécession qui déchire alors les États-Unis de 1861 à 1865 va accélérer la croissance de la jeune entreprise. Ayant fourni fusées d’artillerie et munitions aux troupes nordistes de l’Union, elle peut ouvrir une nouvelle usine à Bridgeport, toujours dans le Connecticut.
Avec la chute des Confédérés, les commandes gouvernementales et l’intérêt de Washington pour de nouvelles armes s’amenuisent. Benjamin Hotchkiss décide alors de se tourner vers l’Europe où les tensions internationales s’accroissent.
En 1867, il gagne la France. Il est accompagné de sa maîtresse qu’il épousera frauduleusement, devenant ainsi bigame. Lors de la guerre de 1870, à la demande du Gouvernement de la Défense nationale, il créé une fabrique de cartouches métalliques à Viviez dans l’Aveyron.
Après la guerre franco-prussienne, Hotchkiss se rapproche de Paris, d’abord quai de Jemappes puis pour des raisons d’espace, à Saint-Denis en 1875. Il met au point de nombreuses armes innovantes dont un canon revolver à tir rapide. Il multiplie alors les contrats. Avec l’armée des États-Unis, à laquelle il vend des canons. A l’armurier américain Winchester auquel il cède en 1879 son brevet pour un fusil à répétition. Mais aussi avec la Russie et bien évidemment la France. Animé par un esprit de revanche, le pays réarme massivement et les canons Hotchkiss se retrouvent tant sur les navires que dans la ligne de fortifications du système Séré de Rivières.
Devenu un des premiers fabricant d’armes au monde, Benjamin Hotchkiss s’éteint brutalement le 14 février 1885 à Paris à l’âge de 59 ans.
Son entreprise d’armement lui survit. La mitrailleuse mise au point après sa mort -et à laquelle on donne son nom en hommage- équipe lors de la première guerre mondiale l’armée française ainsi que le corps expéditionnaire américain. En 1903 la société se diversifie en donnant naissance à l’une marque automobile dont l’emblème est directement inspiré de celui de l’United States Army Ordnance Corps, rappelant les origines américaines et armurières de la marque.
Le Bureau du Patron réunit des articles brefs consacrés à l’histoire d’entrepreneurs atypiques aux fortunes diverses
A la mort de Dietrich Mateschitz le 22 octobre 2022, beaucoup ont découvert avec surprise l’origine autrichienne de Red Bull. Dans l’inconscient collectif, l’Autriche est plus souvent associée aux couronnes impériales qu’à l’industrie mondiale. Le pays des Habsbourg, à l’instar de son voisin allemand, compte pourtant de très anciennes entreprises.
Ce n’est probablement pas par hasard que la société Swarovski est née dans un ancien empire.
Dès 1895, Daniel Swarovski fonde avec deux associés une entreprise à Wattens dans le Tyrol autrichien. Celle-ci exploite la machine électrique brevetée par Daniel et permettant la taille précise des cristaux de verre. L’utilisation de ces derniers dans la haute couture et notamment des célèbres strass va permettre le développement de l’entreprise jusqu’au rang international qui est le sien aujourd’hui.
Mais dès 1919, Swarovski se diversifie en fondant Tyrolit, une société dédiée à la commercialisation de disques à meuler nés du savoir-faire de la maison-mère dans le domaine.
Et en 1949, fort de l’expérience acquise dans le travail du verre, Wilhelm, fils du fondateur, créé Swarovski Optik. La filiale se spécialise dans les optiques de précision, des jumelles aux télescopes en passant par les lunettes de visée pour le tir.
Le joyau de la couronne industrielle des Habsbourg demeure toutefois sans conteste Steyr. En 1864, Josef Werndl fonde une manufacture d’arme à son nom, Josef und Franz Werndl & Comp., Waffenfabrik und Sägemühle. Dès 1867, le fusil qu’il produit est adopté par l’armée austro-hongroise assurant ainsi sa croissance. A l’aube de la première guerre mondiale l’armée impériale adopte à nouveau un fusil de l’entreprise. De 1895 à 1918, le « Mannlicher » M1895 sera produit à plus de 3 millions d’exemplaires.
En 1919, face à l’interdiction de produire des armes imposée aux vaincus, la firme doit se réinventer. Elle se lance alors dans la production de cycles, d’automobiles et de camions. Elle prend le nom de Steyr en 1926. En 1934, elle s’associe à son concurrent Austro-Daimler-Puch.
Avec l’Anschluss et la seconde guerre mondiale, la production d’armes reprend pour connaître la même sanction en 1945. Après-guerre Steyr-Puch retourne aux camions, aux bus et aux tracteurs. Elle entame également une collaboration avec Fiat pour produire des voitures. Depuis 1970, l’entreprise développe des compétences spécifiques dans la production de véhicules tout-terrain pour l’armée autrichienne ou en coopération avec des constructeurs automobiles étrangers (Fiat Panda 4×4 et Mercedes classe G entre autres).
Dans les années 1950, sous le nom de Puch, la société vend des vélos, mobylettes et motos jusqu’aux États-Unis. A la même période, en pleine guerre froide, la production d’armes reprend pour équiper l’armée autrichienne renaissante.
A la fin des années 1980, le groupe industriel commence à se scinder en vendant ses différentes branches. Certaines conservent encore une partie du nom : Steyr Mannlicher (armes) , Magna Steyr (automobiles).
De la Révolution à la Révolution Industrielle, la veuve de Dietrich va traverser les tourments de son époque avec pour seule obsession de léguer à ses enfants une entreprise prospère.
Amélie de Berckheim naît en 1776 à Ribeauvillé en Alsace dans une famille noble. Elle reçoit une excellente éducation et anime même avec ses sœurs un cercle littéraire.
En 1797, elle épouse Jean-Albert-Frédéric de Dietrich, surnommé Fritz. La famille de Dietrich a été durement éprouvée par la Révolution. Propriétaire de terres, de hauts-fourneaux et de forges, elle a vu une partie de ses biens être placée sous séquestre. Le père de Fritz, victime de la Terreur, a été guillotiné en 1793.
Fritz ayant obtenu la levée des séquestres, il s’attelle à la relance des ses usines. Pour les sauver, il vend des biens familiaux et accepte en 1800 de transformer l’entreprise familiale en société par action pour 15 ans : la « Société des Forges du Bas-Rhin ». En 1801, grâce à Bonaparte, il devient inspecteur des Forêts, Îles et Rives du Rhin, procurant ainsi des revenus complémentaires au ménage. Il meurt en 1806, laissant Amélie veuve et en charge de leurs 4 enfants.
Décidée à maintenir la maison de Dietrich et ses forges pour l’avenir de ses enfants, Amélie en prend la direction. Elle aliène encore quelques biens patrimoniaux pour apaiser les créanciers et parvient à redresser l’entreprise qui retrouve son niveau de production antérieur à la Révolution et emploie 1000 personnes.
Arrivée à l’échéance de la société par action en 1815, Amélie procède aux différents remboursements des mises de fonds et distribue les intérêts statutaires ainsi que des dividendes. Elle créé ensuite avec certains actionnaires précédents la « Nouvelle Société des Forges du Bas-Rhin » pour 12 ans.
Elle porte un soin particulier à l’éducation de ses deux fils. Pour les préparer à diriger et leur donner les compétences techniques et scientifiques nécessaires, elle les pousse à suivre des études supérieures à l’École des Mines de Saint-Étienne mais également à l’Université de Heidelberg.
En 1827, à l’issue de la nouvelle échéance, elle rembourse à nouveau ses actionnaires et fonde son ultime société ne comptant d’autres actionnaires qu’elle et ses enfants : « Veuve de Dietrich et Fils ». Excessivement vigilante sur l’équilibre financier, Amélie développe des outils comptables particulièrement précis, lui permettant de contrôler les coûts et la rentabilité de chaque produit.
Dirigée avec ses enfants, la société se développe en accompagnant la Révolution Industrielle naissante. Progressivement, elle délaisse la sidérurgie et se diversifie en se lançant dans la production de matériels ferroviaires et mécaniques.
Amélie qui a gagné le surnom de « Dame de Fer » meurt à Strasbourg en 1855 à 79 ans en léguant à ses enfants les bases solides d’un futur fleuron industriel alsacien.
Le Bureau du Patron réunit des articles brefs consacrés à l’histoire d’entrepreneurs atypiques aux fortunes diverses
Audaciter calomniare semper aliquid haeret.« Calomniez audacieusement, il en restera toujours quelque chose ». Ce proverbe latin semble particulièrement convenir à la marque Reliant, dont l’image de marque est durablement écornée. Même au delà des îles britanniques ou du cercle restreint des amateurs de curiosités automobiles. Et pourtant…
Une célèbre inconnue
Constructeur britannique établi en 1935, Reliant s’est progressivement spécialisé dans la construction de petits véhicules en fibre de verre à trois roues. Une niche fiscale et légale, plus qu’un réel engouement pour cette curieuse architecture, explique la persistance d’un marché pour ces véhicules. A l’instar des voitures sans permis en France.
Comme les voiturettes dans l’Hexagone, les productions de Reliant ont rapidement souffert d’une image de véhicules pour personnes âgées ou détenteurs d’un permis de seconde zone. A cela s’ajoutaient quelques doutes sur sur la stabilité en courbe de ces curieux engins.
Ceux pour qui le nom Reliant n’évoque toujours rien connaissent probablement malgré tout ses productions.
Dans son show télévisé, Mr Bean, de 1990 à 1995, Rowan Atkinson a fait d’une Reliant un personnage récurrent. Au volant de sa Mini, le terrible Bean affronte à de multiples reprises une Reliant Regal Supervan bleue finissant presque invariablement sur le côté.
Les plus jeunes et les amateurs d’automobiles ont découvert Reliant et sa triste réputation avec l’émission de divertissement Top Gear. Dans un épisode de 2010 devenu culte, l’animateur Jeremy Clarkson procède à l’essai d’une Reliant Robin dans les rues de Sheffield. Sans surprise, la voiture se retourne tout au long de l’essai.
Pourquoi laver l’honneur de Reliant ?
Contrairement aux propriétaires de ces trois-roues, la marque Reliant qui a cessé de produire des véhicules en 2001 ne devrait guère souffrir de ces sarcasmes.
Oui mais voilà, Reliant n’est pas morte. Elle est désormais spécialisée dans la vente de pièces détachées pour ses anciennes productions.
Or les prestigieuses et défuntes ou mourantes marques d’Outre-Manche se sont signalées ces dernières années par une formidable capacité à renaître d’entre les morts : MG, Mini, Norton et Triumph par exemple.
Si l’envie venait à des investisseurs de relancer la marque, comment un historien d’entreprise pourrait-il alors contribuer à restaurer l’image de la très bancale Reliant ?
Tout d’abord en rappelant que les mythiques cascades de Clarkson sont le fruit d’un sabotage volontaire. L’équipe de production, pour s’assurer de spectaculaires pertes d’adhérence avait en effet, selon les propres dires du pilote en 2016, modifié le différentiel.
Cela ne suffira peut-être pas à rassurer d’éventuels clients sur la stabilité de cette solution technique…
Nous rappellerons alors que Reliant a également construit des années 1960 au milieu des années 1990 de petit coupés et cabriolets artisanaux dans la plus pure tradition britannique : la Sabre et les différents avatars de la Scimitar. Fibre de verres et moteur de grande série, comme Lotus. Entreprise fondée avant la guerre comme Morgan.
De plus, dans une monarchie millénaire, il n’est sans doute pas inutile de mentionner que la princesse Anne appréciait particulièrement la Scimitar. A la GTE offerte par ses royaux parents pour ses 20 ans ont succédé pas moins de sept autres exemplaires.
La voiture d’une lointaine galaxie
Enfin, si toutefois Reliant s’obstinait à vouloir renouer avec ses three-wheelers, alors devrait être mis en avant un ultime argument imparable. Une bonne partie des enfants de la galaxie a un jour rêvé de piloter une Reliant… sans le savoir.
Ogle Design a dessiné plusieurs modèles pour Reliant. La fameuse Scimitar, la moins glorieuse Robin et l’étrange Bond Bug. Cette dernière était une tentative de toucher un public plus jeune avec un dessin plus futuriste et sportif (pour l’époque).
Au début des années 1970, Ogle Design est contactée par Lucasfilm pour construire le Landspeeder de Luke Skywalker dans le premier volet (mais l’épisode IV) de Star Wars. L’équipe va justement choisir le châssis à trois roues de la Bond Bug.
La Force des Jedi permettrait elle à ces trois roues de ne plus jamais se renverser ? Et à la réputation de Reliant de se relever ?
Au début des années 1970, alors qu’elle se prépare à lancer la révolutionnaire R5, la Régie Renault décide de renouveler également son image avec un logo inédit. Elle sera malheureusement coupée dans son élan par la justice. A une échelle réduite, un autre constructeur français d’automobiles indirectement mais fortement lié à Renault a échappé aux même poursuites…
A l’été 1971, Renault met sur le marché deux coupés sportifs, la R15 et la R17. Ceux-ci inaugurent un nouveau logo dessiné par Michel Boué qui est également auteur de la R5. La petite citadine dont la Régie attend beaucoup sort en janvier 1972 attirant inévitablement l’attention des médias.
C’est ainsi que l’entreprise Kent, fabriquant de produits chimiques dédiés à l’entretien et la réparation des véhicules, découvre un logo qu’elle juge beaucoup trop proche du sien. Renault est attaquée en justice et perd. Un nouveau logo est alors dessiné par « Yvaral » le fils de Victor Vasarely. Pour les véhicules déjà vendus, une campagne de rappel est organisée pour remplacer le logo désormais interdit.
Certains propriétaires ignoreront le courrier et quelques modèles survivront ainsi jusqu’à nos jours en arborant ce rare emblème, ajoutant au fil du temps à leur valeur.
Ayant cette histoire en tête, au hasard d’un vide-grenier, j’ai découvert il y a quelques jours un développement inédit de cette étonnante histoire.
La tempête judiciaire qui s’est abattue sur Renault en 1972 a certainement fait trembler un autre constructeur d’automobiles, Majorette.
Lorsque commence la production du modèle réduit de la R17 TS en septembre 1973, l’affaire qui oppose Renault à Kent est déjà close. Oui, mais à une époque ou tout est encore conçu et dessiné à la main, sans logiciel de DAO ou PAO, la création d’une miniature peut prendre jusqu’à 18 mois. La base qui a servi d’inspiration aux réducteurs est donc très certainement un des premiers exemplaires avec le logo interdit.
L’examen attentif d’un modèle non restauré, acquis en vide-grenier, révèle que c’est bien ce logo qui figure les R17 de Majorette. La lecture de la très instructive page de mininches.com sur le sujet nous apprend que si différentes modifications ont été apportées au modèles entre 1973 et 1978, aucune n’a concerné le logo. La mansuétude, l’indifférence ou la presbytie des avocats de Kent aura donc finalement protégé la production de Majorette d’un procès. Il aurait été bien difficile pour la petite marque de se contenter de remplacer les logos sur les milliers de modèles déjà produits…
L’auteur tient à remercier le jeune Pierrig M. grâce à qui cette découverte a été possible.
Derrière cet emprunt aux vers de Lamartine se cache une réelle interrogation. Lors de mes rencontres professionnelles, il est arrivé plusieurs fois que mon interlocuteur s’inquiète, avec une pointe de gêne, de n’avoir rien conservé ou presque de l’histoire de son entreprise, aucune machine ancienne et, a fortiori, aucun produit fini. Comment alors raconter et illustrer cette histoire ?
C’est justement le propre de l’Historien que de faire parler les indices ténus qui ont survécus. De les croiser avec d’autres témoignages pour retracer les fils de la mémoire.
Pour illustrer mon propos, une brève anecdote personnelle.
Après le décès de mes grands-parents, j’ai hérité d’une poignée de piécettes éparses sans grande valeur et d’un petit médaillon. Il s’agissait typiquement des fonds de poche qu’un voyageur ramène à l’issue de son périple faute d’avoir pu les changer et aussi pour conserver un souvenir à peu de frais.
Les pays d’origine et les dates des pièces, principalement de 1950 à 1969, m’ont permis de les attribuer sans difficulté et avec certitude à mon grand-père.
Avec elles a ressurgi une partie de sa vie professionnelle. Ouvrier aux ateliers et Chantiers de Bretagne à Nantes (ACB), je savais qu’il avait effectué de nombreux déplacements. Ces monnaies m’ont permis d’interroger et de réveiller l’histoire familiale pour en apprendre plus encore.
Ma mère et mes tantes ont affiné les dates des voyages et les destinations. Elles m’ont raconté le déchirement pour lui de quitter son épouse adorée mais la nécessité d’obtenir des primes pour nourrir une famille nombreuse et payer sa maison. Mais aussi les joies inattendues de cet éloignement subi, avec le coup de foudre pour le Portugal et le Fado. Enfin, le séjour au nord du cercle arctique à Mourmansk, en URSS, dans des conditions climatiques et politiques glaciales…
L’examen de ces pièces et du médaillon de Bielefeld m’a aussi fait réaliser que le savoir des ACB était à cette époque recherché non seulement par quelques pays pauvres mais également par des puissances financières ou techniques de premier plan, comme la Suisse ou l’Allemagne.
Par ce qu’elles disaient ou ce qu’elles ont fait ressurgir, ces quelques pièces m’en ont finalement appris beaucoup.
Il y a, sans aucun doute, dans vos ateliers ou vos bureaux des objets qui attendent de raconter une partie de l’histoire de votre entreprise.
Lorsqu’on évoque les villes portant le nom d’un dirigeant, les première images qui viennent à l’esprit sont probablement les nombreuses Alexandrie de l’Antiquité ou les Karl-Marx-Stadt et Leningrad du bloc communiste. Pas celles de cités ouvrières modernes édifiées par une entreprise de rang mondial… Et pourtant, les dirigeants de Bata ont fondé dans le monde entier des villes qui conservent aujourd’hui encore leur nom.
En 1894, à Zlin, Tomáš, Antonín et leur sœur Anna Bat’a, issus d’une lignée de cordonniers, fondent une compagnie de fabrication de chaussures. Celle-ci se développe au tournant du siècle en adoptant la mécanisation et les méthodes de la production de masse observées aux États-Unis. Lorsque survient la première guerre mondiale, l’entreprise qui se trouve alors d’ans l’empire austro-hongrois tire profit des commandes militaires. A l’issue du conflit Bata parvient à se maintenir malgré la crise qui touche la jeune Tchécoslovaquie au début des années 1920 puis à se développer encore grâce à sa politique de prix bas. Le succès permet à l’entreprise, entre les années 1920 et 1930, de dépasser les frontières tchécoslovaques pour s’implanter en Europe, jusqu’à devenir un leader mondial.
La petite agglomération morave de Zlín devient une ville moderne. Tomáš Bat’a, devenu maire en 1923, y expérimente une nouvelle conception de la cité ouvrière alliant paternalisme hérité du XIXe siècle et un attrait pour l’urbanisme moderne typique de l’entre deux guerres. Sous la direction d’architectes, de nouveaux quartiers voient le jour entre 1923 et 1938, associant usines, logements, écoles, réseau de transport, services, magasins, activités culturelles et sportives.
Le modèle de Zlin va s’exporter en Europe. Afin de s’implanter sur des marchés prometteurs et de contourner les barrières douanières, Tomáš Bat’a installe des usines dans différents pays : à Borovo dans le Royaume de Yougoslavie et à Ottmuth en Allemagne en 1931, à Chełmek en Pologne et à Möhlin en Suisse en 1932. C’est en souhaitant se rendre dans cette dernière localité que Tomáš Bat’a décède dans un accident d’avion la même année.
Le demi-frère de Tomáš, Jan-Antonín, désormais à la tête de l’entreprise poursuit son développement selon la même vision. Parallèlement aux nombreux ateliers, les cités ouvrières sont achevées et de nouvelles voient le jour. Certaines prennent même désormais le nom de Bata : Bataville sur la commune d’Hellocourt en France en 1932, Batadorp à Best aux Pays-Bas et même Batanagar aux Indes britanniques en 1934.
En 1939, malgré le démantèlement de la Tchécoslovaquie, l’entreprise fonde l’usine Baťovany à Šimonovany alors dans la République Slovaque, inféodée aux Allemands. La même année, au Canada, Batawa accueille de nombreux travailleurs tchèques ayant fui la Bohême et la Moravie occupées par les nazis.
L’expérience acquise par Bata permet à l’entreprise de développer une méthode et des standards. Jusqu’à éditer un véritable manuel. Pour implanter ses cités ouvrières, elle privilégie principalement des régions agricoles où les terrains sont peu chers, la main-d’œuvre abondante, disposant d’importante ressources en eau et proche de voies de communication vers les centres urbains et industriels.
Presque autarciques, ces villes doivent permettre aux salariés de travailler, vivre et se former sur place.
Visuellement, des spécificités architecturales donnent aux usines Bata, quel que soit le pays, une apparence similaire. Les bâtiments de production, les bureaux et les édifices municipaux sont construits autour de modules standards de 6,15 mètres sur 6,15mètres faits d’une ossature en béton armé dont les parois sont fermées de briques et de fenêtres. Pour simplifier et optimiser la construction, les maisons et appartements ont tous un toit plat qui leur donne l’apparence de cubes ou parallélépipèdes semblables aux usines qu’ils côtoient.
Le second conflit mondial va mettre un terme au développement des cités ouvrières Bata. Victime de nationalisations dans les différents pays communistes du Bloc de l’Est, l’entreprise doit alors se réinventer.
Presque 80 ans plus tard, les régimes communistes se sont effondrés en Europe, les accords commerciaux et la mondialisation ont levé certaines barrière douanières.
Les cités ouvrières de Bata ont progressivement perdu leur fonction de production, ont été vendues mais conservent toujours leur nom.
Parfois protégées et même étudiées pour leur intérêt historique, elles témoignent aujourd’hui d’un courant architectural fonctionnaliste et d’un paternalisme dirigiste propres aux années 1930.
La renommée est-elle préférable à un prospère anonymat ?
Vous savez probablement déjà que Frigidaire était une marque avant de devenir une dénomination courante du réfrigérateur. Ce procédé, dans lequel un nom propre devient un nom commun, s’appelle l’antonomase. En matière de communication d’entreprise, cela pourrait être considéré comme une consécration. Bien évidemment, tout n’est pas aussi simple. Enfin, aussi surprenant que cela paraisse, l’anonymat d’une marque ne l’empêche pas d’être connue de tous…
NDLA : conformément à l’usage, dans cet article les marques sont différenciées des noms communs par l’usage respectif d’une majuscule et d’une minuscule.
Parce qu’elles ont été pionnières sur un produit, qu’elles ont dominé ou dominent encore le marché, certaines marques ont vu leur nom ou celui de leur produit s’imposer dans le langage courant.
Ainsi en est-il du klaxon qui équipe nos véhicules. Vendu aux Etats-Unis dès 1908, l’avertisseur sonore Klaxon est un produit de la Lovell-McConnell Manufacturing Company. Avec le développement de l’automobile, l’entreprise va connaître le succès, être rachetée et même prendre le nom de son produit-phare pour devenir The Klaxon Company. Du nouveau continent jusqu’à la vieille Europe, ce nom va également s’imposer dans le langage courant de plusieurs générations d’automobilistes.
On peut imaginer que cette association entre un produit et le nom d’une marque est un avantage décisif au moment où le consommateur doit faire son choix. Traversant les rayons d’un supermarché à la recherche d’un stylo-bille, de mouchoirs en papier ou de rouleaux adhésifs, le client sera peut-être d’abord enclin à chercher des « Bic », des « Kleenex » de Kimberly-Clark ou du « Scotch » de 3M.
Peut-être est-ce cet avantage concurrentiel que certaines entreprises ont recherché en prenant ce processus à contre-pied ; transformer en marque un nom commun.
Dans les années 1930, l’entreprise britannique Baracuta créé le G9, un blouson de golf avec une doublure en tartan. Porté par Elvis Presley dans King Creole et James Dean dans La Fureur de Vivre dès les années 1950, le G9 gagne encore en popularité grâce un série télé américaine des années 1960, Peyton Place. Hélas, ne connaissant pas le nom du blouson ou de son fabriquant, le public lui attribue celui du personnage qui le porte à l’écran. Ainsi naît le harrington jacket. Copié à l’envie en dehors du Royaume-Uni, c’est sous ce nom qu’il intègre dans les décennies suivantes les garde-robes des rockers, des punks et des skinheads pour lesquels il devient iconique. En 1985, une entreprise française de confection décide de déposer le nom Harrington pour l’Hexagone. Le nom commun est désormais devenu une marque qui existe encore de nos jours.
Cette démarche ne connaît pas tout le temps le succès. En 2009 une société française ayant déposé à l’INPI la marque « Murder Party » attaque en justice une association. Elle voit alors se dresser face à elle une partie de la communauté française du jeu de rôles grandeur nature. Ses membres arguent que le terme, tout comme l’activité qu’il désigne, remonte aux années 1930. Le dépôt de la marque est alors invalidé.
Même créatrice et propriétaire d’une marque, une entreprise court le risque d’en être dépossédée.
Apparue officiellement en 1936 comme une marque, Pédalo devient au fil du temps un terme générique désignant tout type de bateau à pédales. Aussi est-ce sans succès qu’à partir des années 1990 le nouveau propriétaire tente devant la justice de restreindre l’usage du nom Pédalo.
Pour éviter de connaître la même mésaventure, la société Caddie veille avec attention à l’usage de son nom pour désigner les chariots de supermarché. En effet, ne pas s’y opposer -au besoin devant les tribunaux- se traduirait pour elle par le risque de voir sa marque devenir un terme générique et d’en être déchue pour cause de dégénérescence. Selon l’article L714-6 du code de la propriété intellectuelle, dont la dernière version date de 2019 :
« Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d’une marque devenue de son fait : a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service […] »
La déchéance de marque est un vrai risque pour les entreprises. Elle les prive du capital immatériel lié au nom et à l’image au profit de concurrents autorisés à utiliser cette ancienne marque sans craindre de poursuites pour contrefaçon.
A contre-courant des exemples précédents, nous conclurons cet article par un paradoxe. Une marque totalement inconnue du grand public et dont les produits ont pourtant une reconnaissance mondiale.
Il est presque certain que vous avez au moins une fois dans votre vie utilisé une « fermeture éclair » sur laquelle était inscrite trois lettres : YKK.
Arrêtons-nous quelques lignes sur cette antonomase bien française. A l’instar de Frigidaire, Fermeture Eclair est avant tout une marque de fermeture à glissière qui appartient toujours à la société Éclair Prym France. Et YKK n’est autre qu’un de ses concurrents d’envergure mondiale.
Ces trois lettres désignent la société japonaise Yoshida Kōgyō Kabushiki gaisha (traduction : Compagnie Yoshida SA). Fondée en 1937, la société s’impose mondialement dans le domaine des fermetures à glissière après la guerre, jusqu’à fournir aujourd’hui près de la moitié de la production mondiale avec environ 7 milliards d’unités par an.
Bel exploit pour une marque dont, en dehors du monde de la confection, personne ou presque parmi le grand public ne connaît le nom.
Bonus : connaissez vous le lien entre Klaxon et Frigidaire ? Derrière ce qui s’annonce comme une blague potache, un peu d’histoire d’entreprise. Outre l’antonomase, ces deux marques ont en commun d’avoir bénéficié des investissements de William C. Durant. Un des fondateurs de General Motors grâce auquel elles vont intégrer l’empire industriel du constructeur automobile américain.